1976(2) - « Rapport de mission en Tchécoslovaquie », 20-30 décembre 1976, MSH groupe international « Ecologie et Sciences humaines »

Tapuscrit (6 feuillets) daté de janvier-février 1977. Musées de Kačina, d’Ohrada, de Lednice, de Nitra. Traditions de recherche et publications sur l’histoire de l’agriculture en Tchécoslovaquie. [Lire le pdf]


Maison des Sciences l'Homme     Groupe International
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RAPPORT DE MISSION EN TCHECOSLOVAQUIE
20-30 Décembre 1976
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La Tchécoslovaquie, ainsi que de nombreux autres pays (Hongrie, Pologne, Allemagne R.F.A. et R.D.A., Pays Scandinaves, Angleterre etc.), possède une catégorie de musées qui n'est pas représentée en France : les musées de l'agriculture. L'objet de ma demande de mission était de me rendre compte, par une visite rapide, de ce que sont ces musées et du rôle qu'ils jouent dans l'organisation de la recherche sur l'histoire de l'agriculture. Ma participation au 4e Congrès International des Musées d'Agriculture à Reading (G.B.) en avril 1976 m'avait déjà permis de visiter le Museum of Eng1ish Rural Life de cette ville, ainsi que le Musée de plein air du Pays de Galles, à Saint Fagans près de Cardiff, .dont une grande partie est consacrée à l'agriculture. Je compte ultérieurement visiter de même les musées de Hongrie, puis d'autres pays.

 

Déroulement de la mission.

La fin décembre n'était certes pas le meilleur moment de l'année pour effectuer une telle mission. L'accord de l'Académie des Sciences de Tchécoslovaquie n'étant parvenu au C.N.R.S. que le 13 décembre cependant, il n'y avait guère le choix. Néanmoins, et grâce à l'aide extrêmement amicale, empressée et efficace des collègues tchécoslovaques, ma mission put se dérouler dans d'excellentes conditions matérielles et sans perte de temps. Qu'ils trouvent ici l'expression de toute ma reconnaissance.

L'avion de la ligne Paris-Budapest ayant été détourné sur Bratislava en raison du brouillard, je ne suis arrivé à Prague que dans la nuit du 20 au 21 décembre, ce qui a pratiquement écourté de 24 heures la durée utile de mon séjour. Le calendrier de ma mission a été le suivant :

21 décembre: prise de contact avec MM. Müller et Tempir; départ pour le Château-Musée de Kačina; début de la visite du Musée.

22 décembre: entretien avec MM. L. Loudil et J. Tlapák; fin de la visite du Musée; visite de la Bibliothèque.

23 décembre: départ de Kutná Hora pour le Château-Musée d'Ohrada près de České Budějovice; visite d'étangs à carpes et du Musée; entretien avec M. J. Andreska.

24 décembre: visite du Musée de la Bohême du Sud à České Budějovice avec M. Landa; retour à Prague.

26 décembre: entretien avec M. V. Šmelhaus.

27 décembre: départ de Prague pour Brno; visite du Musée ethnographique de Moravie à Brno; entretien avec son directeur, M. L. Kunz; départ pour Lednice.  

28 décembre: visite du Château-Musée de Lednice avec M. Koukal; départ pour Nitra; visite du Musée de l'agriculture de Slovaquie à Nitra; entretien avec le Directeur et M. O. Gergelyi.

29 décembre: départ pour Bratislava; entretien avec Mme V. Urbancová.

30 décembre: retour à Prague; entretien avec M. l'Attaché culturel de l'Ambassade de France; retour à Paris.

Les musées et leurs collections

1.-Le Musée de Kačina.

Le musée est installé dans les bâtiments de l'ancien château des comtes Chotek (premier tiers du XIXe siècle), non loin de Kutná Hora, à environ 80 km à l'Est de Prague. Il rassemble les collections relatives à l'agriculture proprement dite (production végétale et animale, apiculture, arboriculture, viticulture, etc.), aux industries agricoles (meunerie, industries du lait et de la viande) et à la politique agricole du Parti communiste tchécoslovaque.

Dans une aile du château est conservée l'ancienne bibliothèque de la famille Chotek, riche de 40 000 volumes écrits dans toutes les langues européennes. Elle comprend en particulier de nombreux ouvrages d'agriculture, de botanique et de technologie, dont certains remontent au XVIe siècle. Il y a aussi un fonds important de cartes anciennes. L'importance de cette bibliothèque est de niveau européen. Elle n'est pas ouverte au public actuellement.

Les expositions publiques occupent la majeure partie du rez-de-chaussée, des caves et du premier étage. Leur but est d'illustrer les aspects les plus divers sous lesquels se présente l'agriculture ancienne et actuelle, depuis les vestiges archéologiques jusqu'aux fac-simile des variétés locales de fruits et légumes, en passant par des modèles réduits de machines et de bâtiments d'exploitation. Les principaux thèmes représentés peuvent être classés ainsi:

- thèmes chronologiques (évolution de l'agriculture en général, ou par périodes);

- thèmes géographiques (les bâtiments ruraux traditionnels des différentes régions tchèques);

- thèmes techniques, les plus importants (apiculture, viticulture et vinification, production du houblon, méthodes modernes de production animale, etc.).

Aux expositions s'ajoutent les réserves, qui occupent les combles. Elles sont extrêmement riches, et, pour le chercheur, d'un intérêt considérable. Nous avons surtout été intéressé par les instruments aratoires (araires, charrues) et l'outillage à bras (bêches, houes, faux, fléaux…).



2.-Le musée d'Ohrada.

Le château d'Ohrada est situé près de la petite ville de Hluboká, à quelques kilomètres au Nord de České Budějovice (Bohême du Sud). C'est un ancien rendez-vous de chasse, mais dont les dimensions sont celles d'un château. Comme Kačina, le château d'Ohrada appartenait à une grande famille de féodaux, celle des Schwarzenberg. Sur une étendue considérable, les environs du château étaient aménagés pour la chasse, celle-ci étant naturellement réservée aux seigneurs et à leurs invités. La région est très boisée, et c'est aussi une des principales régions d'étangs et de pisciculture de Tchécoslovaquie. D'où la triple vocation du musée d'Ohrada: économie forestière, chasse et pêche.

Les collections forestières illustrent d'une part les métiers traditionnels de la forêt (bûcheronnage, charbonnage, flottage des bois, etc.), et d'autre part les techniques d'aménagement forestier telles qu'elles se développent à partir de l'intervention de l'Etat autrichien, sous le règne de Marie-Thérèse.

Les collections relatives à la chasse sont en grande partie composées d'armes à feu, d'animaux empaillés, de trophées, etc. Plus intéressantes sont les collections relatives à la pêche, car contrairement à la chasse, celle-ci est restée jusqu'à nos jours une activité populaire, avec une variété de techniques bien plus grande et davantage liée à l'environnement régional. Cependant, ces collections sont actuellement en réserve, leur exposition publique est en préparation.

Non loin d'Ohrada se trouve un des plus grands étangs de pisciculture de la région, le Bezdrev, qui date du XIVe siècle. A Hluboká se trouve un important centre de conditionnement du poisson: les carpes adultes y séjournent pendant environ deux mois dans des réservoirs où elles ne reçoivent aucune nourriture. Ce jeûne a pour but d'enlever à la chair tout goût désagréable avant la vente.



3.-Le musée de Lednice.

Comme les deux précédents, le musée de Lednice est installé dans les bâtiments d'un château ayant appartenu à la famille des Liechtenstein. Il s'agit d'une énorme construction de style néo-gothique anglais, au milieu d'un parc de plus de 2 000 ha. Un certain nombre de bâtiments sont disséminés dans le parc, entre autres une imitation de l'Arc de triomphe, et une mosquée avec son minaret (!).

Lednice contient également des collections cynégétiques. Mais l'exposition la plus intéressante est consacrée aux parcs et jardins. S'y ajoute une serre de 90 m x 10 m environ, où se trouve une intéressante collection de plantes tropicales. La construction de la serre elle-même est assez curieuse, la couverture est faite de plaques de verre de petites dimensions traitées un peu comme des tuiles.



4.-Le musée de Nitra.

Contrairement aux trois musées précédents, le musée de Nitra est installé en ville, et dans des bâtiments anciens mais qui n'appartenaient pas à un château. La dimension plus modeste des pièces est plutôt un avantage (le musée de Nitra est chauffé, donc ouvert au public en hiver). A cela près, ce musée est à la Slovaquie ce que Kačina est à l'ensemble Bohême-Moravie. Les principes d'organisation paraissent semblables. Parmi les différences, il faut noter l'importance donnée à la viticulture, qui correspond à l'importance de son rôle effectif dans l'économie agricole slovaque. On trouve à Nitra une belle collection de pressoirs artisanaux des XVIIIe et XIXe siècles.


L'histoire de l'agriculture en Tchécoslovaquie: traditions de recherche et publications.

La visite des musées de l'agriculture n'était pas mon seul objectif. Au moins aussi important était celui de prendre contact avec les chercheurs tchécoslovaques travaillant dans le domaine de l'histoire et de l'ethnographie de l'agriculture. Grâce à la cordialité et à l'efficacité de leur accueil, je l'ai déjà dit, ce second objectif a pu être largement atteint. Je vais résumer ici les principales impressions que j'en ai retirées, notamment sur le plan d'une comparaison entre la France et la Tchécoslovaquie.

Il existe en France, comme en Tchécoslovaquie, de nombreux musées consacrés à des aspects particuliers tels que la vigne et le vin, la chasse, telle ou telle production locale, etc. Mais la seule réalisation comparable aux musées de l'agriculture proprement dite est la salle consacrée à l'outillage agricole du Musée National des Techniques, à laquelle n'est affecté aucun personnel ni aucune recherche à plein temps. Autre contraste, le personnel des musées de l'agriculture en Tchécoslovaquie est composé en grande partie de professionnels, ingénieurs agronomes, forestiers, etc., qui se sont spécialisés dans les recherches à caractère historique, type de carrière qui est actuellement impensable en France. Dernier point, l'existence d'une littérature spécialisée, dont l'équivalent fait également défaut en France. Les titres des revues et séries sont les suivants:

-Acta Museorum Agriculturae, Prague, depuis 1966: revue internationale, publiant des articles en quatre langues (anglais, allemand, français, russe), notamment les contributions aux Congrès internationaux des musées de l'Agriculture;

-Vědecké Práce Zemědělského Muzea, Prague (Travaux scientifiques du Musée d'Agriculture) ;

-Prameny a Studie, Prague (Documents et Etudes);

-Agrikultúra - Zborník Slovenského Pol'nohospodárskeho Múzea v Nitre , Nitra (Agriculture -Annuaire du Musée d'Agriculture de Nitra).

La plupart des articles publiés dans Vědecké Práce et Agrikultúra font l'objet de résumés dans une langue d'Europe occidentale (souvent l'allemand). Cependant, ces revues sont à peu près introuvables en France, elles sont ignorées des catalogues collectifs (IPPEC par ex.) comme du Bulletin signalétique du C.N.R.S.

Tout n'est certes pas parfait dans l'organisation des musées et de la recherche en Tchécoslovaquie. Le problème de la conservation des machines agricoles de grande taille, par exemple, (batteuses à vapeur, moissonneuses, chariots, etc.) ne semble pas plus résolu qu'en France; j'ai été étonné, en particulier, de ne voir pratiquement aucune voiture rurale dans les collections.

Cette lacune est probablement à imputer à un manque de moyens, décelable à d'autres indices. Quoi qu'il en soit, il est difficile de critiquer quelque chose qui existe, venant d'un pays où l'institution équivalente n'existe pas.

Les musées de l'agriculture de Tchécoslovaquie sont le produit d’une tradition qui remonte aux années 1780 (comme en France, où une première collection de charrues avait été rassemblée à cette époque). Cependant, l'institution actuelle date de 1891, les premières collections ayant été constituées pour l'exposition du Jubilé de Prague. Il y a là encore un parallèle avec la France, puisque une très importante collection agricole avait été rassemblée pour l'Exposition Universelle de 1900 à Paris; mais il ne nous en reste que le catalogue. C'est un de nos problèmes que de comprendre pourquoi les mêmes impulsions intellectuelles ont débouché en Tchécoslovaquie, et pas en France.

Un second problème, lié au précédent, est celui du rôle social qui est reconnu dans les deux pays à l'histoire/ethnographie de l'agriculture. Dans les deux pays, cette discipline est à cheval sur les sciences agronomiques d'une part, et les sciences de l'homme (anthropologie) d'autre part, mais ce qu'il s'agit de savoir est dans quelle mesure l'agronomie, en tant que discipline institutionnalisée (enseignement, recherche), admet que l'histoire/ethnographie de l'agriculture présente une utilité fondamentale pour son propre développement. En France, la réponse actuelle est clairement négative (mais les choses sont peut-être appelées à changer peu à peu). En Tchécoslovaquie, l'existence même des musées de l'agriculture et de leur personnel de chercheurs est un fait positif. Mais il n'est pas certain qu'il leur soit reconnu un rôle en rapport avec leur importance matérielle dans la formation des agronomes et des agriculteurs. En d'autres termes, et pour poser la question brutalement, l'histoire/ethnographie de l'agriculture est-elle considérée comme une discipline d'intérêt purement historique ou décoratif, c'est-à-dire sans réelle importance, ou bien au contraire est-elle considérée comme nécessaire pour la définition des politiques de production, d'enseignement et de recherche agricoles ?

Encore une fois, la réponse à cette question est entièrement négative dans la France actuelle. La situation est bien meilleure de ce point de vue en Tchécoslovaquie, mais je ne retire pas de ma mission l'impression que la réponse donnée y est entièrement positive.

François Sigaut, janvier-février 1977