2007(1) : « Projet « outillage »

Fichier informatique daté du 21 août 2007 (1943 mots).

PROJET « OUTILLAGE »

 

Introduction

La plupart des agricultures européennes sont passées à la motorisation intégrale entre 1950 et 1980. L’outillage utilisé auparavant a été abandonné et détruit, sauf ce qui en a été sauvegardé dans les musées ou par des collectionneurs.

Les collections et musées d’outillage agricole sont très nombreux. Un recensement en cours en a dénombré près de 2000 en France, et il en existe au moins autant, à proportion, dans les pays voisins. Quelques-unes de ces collections sont anciennes, elles ont été réunies dès le XIXe siècle, quelques-unes dans des établissements techniques (le Conservatoire des Arts et Métiers, par exemple), la plupart dans des musées de folklore ou d’ethnographie sur le modèle du musée suédois de Skansen. Mais le grand mouvement de collecte des matériels anciens a commencé dans les années 1970, lorsque de plus en plus de ruraux prirent conscience que tous les objets qui avaient accompagné leur vie quotidienne depuis des générations était en train de disparaître. Pour conserver le souvenir de ce passé révolu, deux types d’initiatives se sont alors multipliées, souvent associées entre elles : des collections proprement dites, et des fêtes (dites « des moissons », « des battages », «des travaux à l’ancienne », etc.) au cours desquelles les matériels anciens sont présentés en action au public.

Ce grand courant d’intérêt pour les matériels anciens (qui ne touche pas que l’agriculture) ne semble pas près de s’éteindre. Il y a certes des musées qui ferment et des collections qui sont dispersées. Mais aussi fâcheuses soient-elles localement, ces disparitions semblent encore compensées par de nouvelles initiatives, et l’intérêt du public pour les fêtes « à l’ancienne » ne se dément pas. Le problème est celui du renouvellement des générations. Les premiers collectionneurs étaient nés avant la révolution des années 1950, et ils étaient donc familiers avec tous ces matériels qu’ils avaient utilisés ou vu utiliser dans leur jeunesse. Ceux qui leur succèdent aujourd’hui n’ont ni la même expérience ni les mêmes motivations. Les matériels anciens leur sont devenus étrangers, et ils se retrouvent en quelque sorte dans la position de l’archéologue, qui doit péniblement tout retrouver d’objets (ou de fragments d’objets) dont il ne sait rien - dont même il doit poser en principe qu’il ne sait rien, s’il ne veut pas se laisser égarer par de fausses évidences. Tout doit être repris à zéro, dans une démarche de plus en plus éloignée des modes traditionnels de transmission des savoirs pratiques, et qui n’a pas d’autre choix que de devenir plus formelle, plus analytique. C’est la prise de conscience de cette nécessité qui est à l’origine de notre projet.

 

Historique du projet

[A rédiger]

 

Objectifs  [ou peut-être Méthode ?]

 

Il s’agit donc d’offrir à tous ceux qui s’intéressent aux outils anciens - conservateurs de musée, collectionneurs, chercheurs, amateurs, etc.

(1) un moyen d’identifier les outils inconnus, mal documentés, en bon ou en mauvais état, voire fragmentaires, qu’ils peuvent avoir l’occasion de rencontrer ;

(2) un accès à la documentation existante relative à ces outils.

Le dispositif répondant à ces objectifs devra naturellement fonctionner dans les deux sens, en sorte que les utilisateurs puissent, s’ils le souhaitent, y apporter les informations dont ils disposent par ailleurs. C’est la définition d’une banque de données interactive.

 

L’identification

Le problème de l’identification est à la fois élémentaire et difficile.

Il est élémentaire en ce sens que devant un objet inconnu, la question « qu’est-ce que c’est ? » est la première qui vient à l’esprit, celle qui conditionne la suite des investigations. Il faut avoir une première idée, même fausse, de l’identité d’un objet pour pouvoir se mettre à la recherche d’informations relatives à cet objet.

En même temps, le problème est difficile, ou plus exactement mal posé, dans la mesure où on suppose que la réponse existe quelque part et qu’il suffit de trouver la bonne case, pour ainsi dire. Trouver que « ceci est une bêche » ne nous apprend pas grand-chose, mais peut en revanche nous égarer en nous donnant l’illusion d’avoir trouvé « ce que c’est ». Il y a de nombreuses sortes de bêches, qui diffèrent selon les régions et selon les façons culturales auxquelles elles étaient destinées. Ce sont ces détails-là qu’il faut connaître, et la catégorie « bêche » est trop générale et trop abstraite pour nous y aider, si ce n’est comme un indice parmi d’autres.

En d’autres termes, il y a dans tous système d’identification un danger à éviter : celui de renvoyer l’utilisateur à des catégories courantes mais mal définies, qui correspondent davantage à des habitudes verbales qu’à des réalités concrètes. Au terme du séminaire de 2003-2004, il est apparu que le meilleur moyen d’éviter ce danger était d’avoir recours à ce que J. David propose d’appeler des holotypes, c’est-à-dire des objets réels, aussi complets que possible et en assez bon état, conservés et visibles dans tel musée ou telle collection, et sur lesquels on dispose d’un minimum de documentation (origine, utilisation, date, etc.).

Dès lors, le problème de l’identification se clarifie. Il ne s’agit plus d’inclure l’outil dans une catégorie abstraite (« bêche », « serpe », « fourche » …) mais de le rattacher à tel ou tel holotype, sur la base de similitudes.

Le premier objectif de notre projet, en matière d’identification, est donc de recenser dans les musées le plus grand nombre possible d’objets susceptibles de servir d’holotypes.

Le second est d’élaborer un système d’identification permettant de rapprocher un outil inconnu de tel ou tel holotype. Au cours du séminaire de 2003-2004, un certain nombre d’« entrées » ont été discutées :

- par la forme, notamment celle des parties travaillantes (crochet, lame, fourche, pointe…),

mais aussi la longueur du manche, le rapport manche/partie travaillante, etc. ;

- par le ou les matériaux (bois, corne, métal…) ;

- par le nom, s’il est connu (vernaculaire de préférence) ;

- par la fonction (outil ayant servi à…) ;

- etc.

La réflexion sur ces entrées, sur les manières de les croiser, éventuellement de les hiérarchiser, etc., doit se poursuivre, non plus en général, mais avec la perspective d’aboutir aux premiers objets qui auront été choisis comme holotypes.

La documentation

On vient de voir qu’une des entrées du système d’identification sera nécessairement le « nom » de l’outil. Quel est le « vrai » nom d’un objet ? Pour un linguiste, la question est naïve. Mais elle exprime une nécessité : on ne peut pas parler d’une chose quelconque sans s’être mis d’accord sur la façon de désigner cette chose.

En l’espèce, la solution semble d’ailleurs assez simple. Elle passe par trois phases :

- inventorier tous les noms donnés à l’outil, en relevant chaque fois l’origine ou la source de l’information ;

- distinguer les niveaux de langue auxquels ces noms correspondent (dialectal ou vernaculaire, savant, littéraire, etc.) ;

- en fonction de toutes ces informations, proposer le choix argumenté d’un de ces noms pour l’usage actuel.

C’est typiquement un problème de documentation. Par exemple, l’outil que nous appelons aujourd’hui une « pioche » était autrefois appelé une tournée, et le mot pioche désignait une simple houe à fer étroit. Faut-il conserver l’usage actuel parce qu’il nous est familier, même pour parler des outils anciens ? Faut-il au contraire en revenir à l’usage ancien, parce qu’il est techniquement plus précis ? C’est un choix qu’on ne peut pas éluder. Ce qui est indispensable, c’est de le justifier, ce qui n’est possible qu’en s’appuyant sur une documentation suffisamment complète.

Les problèmes généraux relatifs à la documentation ont été étudiés depuis longtemps. S’agissant d’outils anciens, le problème est rendu particulièrement difficile par l’hétérogénéité et la dispersion extrêmes des sources. A côté des sources « normales » en effet, celles que l’on connaît plus ou moins, il y a quantité de sources imprévues ou inattendues, sur lesquelles on ne tombe le plus souvent que par hasard, mais qui peuvent receler des informations d’un intérêt exceptionnel.

Il faut aussi tenir compte de la pluralité des langues. Il y a sur les outils en France des documents irremplaçables qui sont en allemand ou en anglais, et inversement, on trouve en français des informations qui concernent d’autres pays, proches ou lointains. Cette pluralité des langues est d’autant plus importante à prendre en compte que la géographie des outils ne tient aucun compte des frontières politiques ou linguistiques. Certains outils peuvent être propres à une toute petite région et d’autres s’étendre sans grandes variations à des continents entiers. Dans tous les cas, la connaissance de cette géographie fait partie intégrante de la connaissance de l’outil lui-même, et la documentation correspondante doit être prise en compte dans sa totalité, en quelque langue que ce soit.

Cela dit, deux voies principales se présentent pour organiser l’accès à la documentation :

- par les objets eux-mêmes ;

- par leurs fonctions, c’est-à-dire par les opérations dans lesquelles ils interviennent.

La première voie passe par le choix des holotypes dont il a été question plus haut. Pour que les holotypes puissent servir aux recherches documentaires, il faudra les rattacher à des catégories taxinomiques plus pertinentes que les catégories d’usage courant dont on a signalé les insuffisances.

La seconde voie passe par la question « À quoi ça sert ? », qui est aussi spontanée que la question « Qu’est-ce que c’est ? », même si elle ne vient qu’en second. Pour savoir « à quoi sert » un outil, il faut savoir dans quelle ou quelles opérations il est employé. Le concept d’opération demanderait des développements qui allongeraient outre mesure notre propos. Bornons-nous à un exemple. Pour « faire les foins », il faut :

- un outil pour couper l’herbe : une faux (avec diverses variantes) ;

- les accessoires de la faux : battements (enclumette et marteau), pierre à aiguiser, coffin pour mettre la pierre… ;

- des outils pour manipuler l’herbe coupée : râteau, fourche ;

- éventuellement, des dispositifs pour faire sécher le foin, pour le stocker sur place si le transport est différé, etc.

C’est, en l’espèce, la connaissance détaillée de l’opération « fenaison » avec ses diverses variantes d’une région à l’autre, qui permet de dire exactement et complètement à quoi « sert » une faux. La fonction de l’outil, c’est la place qu’il occupe ou le rôle qu’il joue dans telle ou telle opération.

Autrement dit, l’opération est un point de repère aussi important que l’holotype dans la démarche pour connaître un outil. La grande différence, c’est que l’holotype est un objet réel, conservé quelque part, et qui est accessible, visible, voire manipulable dans certaines limites. Alors que l’opération n’est connue que par des témoignages : écrits, images, films, enregistrements sonores… On peut certes « rejouer » les opérations qui ne se pratiquent plus, que ce soit pour le spectacle (ce sont les « fêtes à l’ancienne » dont il a été question plus haut) ou pour la recherche (archéologie expérimentale). Mais ces expérimentations elles-mêmes ne resteront accessibles que par les témoignages divers qui en auront été conservés.

Dans certains cas, toutefois, la reconstitution de pratiques disparues devient une activité presque régulière. Il se crée des associations de « néo-praticiens », disons, qui organisent des échanges, des concours, des démonstrations, des stages de formation, etc. On est ici à un troisième niveau de la recherche, où le but est de reconstituer les habiletés anciennes - voire d’en inventer de nouvelles. A ce niveau, l’outil et l’opération sont supposés bien connus. Mais en réalité, ce n’est pas toujours le cas, et il est assez fréquent qu’arrivés à un certain point, les néo-praticiens soient con,duits à revenir à la recherche documentaire avec des questions plus élaborées.

(A suivre. Le 21 août 2007.)