2012(4) : AEHA rapport moral pour l’année 2011

(présenté le 29 janvier 2012)

Association pour l’Étude de l’Histoire de l’Agriculture au 20e siècle

 RAPPORT MORAL

 pour l’année 2011

 

Les activités de l’AEHA en 2011 ont été marquées par deux événements principaux :

- la journée « Histoire » du 11 mai, dans le cadre du 250e anniversaire de l’Académie,

- la publication de L’Agriculture en Charente au XXe siècle (Geste éditions), le troisième des Guides de recherche départementaux financés par la Fondation Xavier Bernard.

 

De ce troisième guide, venant après ceux de la Vienne (2001) et des Deux-Sèvres (2006), je dois dire qu’il est une véritable réussite. Le mérite en revient tout particulièrement à Michel Coutelle, que je tiens à féliciter et à remercier ici. D’autant qu’il nous prépare un quatrième volume, pour la Charente-Maritime.

Mais cette réussite même nous pose une question difficile. Comment poursuivre cette entreprise en dehors de la région Poitou-Charentes ? Par quelles régions commencer, ou plutôt continuer, et avec quels moyens ? Il faut bien reconnaître que pour l’instant, nous n’avons pas de réponse à cette question. Qui est d’abord, soyons-en conscients, une question de personnes. Tout ce qui a été fait jusqu’ici l’a été grâce à la détermination, à l’énergie et à la compétence de Michel Coutelle. Or pour l’instant, nous n’avons pas réussi à lui trouver des émules pour d’autres régions. Il est clair que si nous voulons y parvenir, il faut que tous les membres de l’AEHA s’y mettent. D’où l’appel que nous leur lançons (et qui sera suivi d’autres !) : faites-nous connaître, dans vos régions respectives, les personnes qui seraient à même de prendre en main la réalisation d’un ou de plusieurs guides départementaux.

 

J’en viens maintenant à l’autre point, la journée « Histoire » du 11 mai. On peut en dire, je crois, qu’elle a été une réussite modérée. Modérée parce que la salle des séances n’était pas tout à fait pleine. Mais réussite tout de même par la qualité des communications et l’intérêt des discussions qu’elles ont soulevées. Et réussite encore, quoique cela n’apparaîtra que dans deux ou trois mois, par le nombre et l’intérêt des « Libres expressions » qui nous sont parvenues par la suite, et qui vont être publiées dans le même numéro (97/4) des Comptes-rendus de l’Académie. C’est sur ces « Libres expressions » que je voudrais insister quelque peu.

Nous en avons reçu vingt-sept, ce qui témoigne du niveau d’intérêt que portent nos confrères à l’histoire. Et à leur lecture, j’ai été frappé par le niveau général d’érudition historique qui s’y manifeste. N’entendez pas cela comme un simple compliment à usage interne. J’y vois surtout, pour ma part, des ressources ou des possibilités. Possibilités, notamment, de colloques ou de publications collectives sur des thèmes importants, en ce qu’ils traitent d’un passé qui a des répercussions directes sur certains débats très actuels. Je pense par exemple à l’apport de la chimie à notre compréhension du monde vivant. En un temps où il est de bon ton de crier haro sur l’agriculture dite « chimique », il y a urgence, me semble-t-il, à rétablir sur ce sujet quelques vérités élémentaires, par exemple que ce sont des chimistes qui ont posé les bases de la physiologie végétale.

Permettez-moi de rappeler ici, après bien d’autres (J. Boulaine, A. Cauderon …), une de ces vérités élémentaires, que la « culture générale » de nos contemporains ignore superbement. Dans les pays dits développés, les rendements céréaliers ont été multipliés par un facteur de l’ordre de 10 en moins de deux siècles. Voilà bien une vérité élémentaire, s’il en est. Mais qui le sait ? Qui le dit ? Qui l’enseigne ? C’est à cette ignorance générale que l’écologisme idéologique doit une grande partie de son succès. Si nous étions capables d’expliquer à tous, preuves à l’appui ― et ces preuves relèvent de l’histoire ― qu’une suppression complète des engrais chimiques et des pesticides ramènerait nos rendements moyens quelque part entre 5 et 10 q/ha/an, et le prix du pain à quelque chose comme 30 euros/kg, il me semble que certaines discussions prendraient une autre tournure.

 

Vous voyez où je veux en venir. La recherche est le premier objectif de l’AEHA, et doit bien sûr le rester. La recherche débouche très normalement sur des publications, qui sont notre second objectif, et je profite de l’occasion pour rappeler que notre bulletin, Mémoire et modernité, dont la parution a été suspendue en 2011 du fait que la journée « Histoire a mobilisé toutes les forces disponibles, va reparaître normalement en 2012. Mais si les publications sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Il faut que ce qu’il y a de plus fondamental dans les résultats de la recherche arrive à passer dans ce qu’on appelle la « culture générale » du plus grand nombre. Ce qui ne peut pas se faire sans une participation active des enseignants, à commencer bien sûr par ceux de l’enseignement agricole et agronomique. Tous les lycéens ont entendu parler de Pasteur, et c’est très bien ainsi. Combien d’entre eux ont entendu parler de Liebig ? Or il est clair que les travaux de Liebig ont eu au moins autant d’incidences que ceux de Pasteur sur notre mode de vie.

Voilà pourquoi, me semble-t-il, ce qu’on appelle avec parfois un certain dédain la « vulgarisation » doit être mis au rang des objectifs primordiaux de l’AEHA. C’est un objectif difficile, j’en suis conscient. Convaincre des enseignants qui ont tant d’autres chats à fouetter, ce n’est pas gagné d’avance. Mais ce n’est pas perdu d’avance non plus. Ne renonçons pas avant d’avoir commencé. Je conclurai sur ce point par un second appel à tous les membres et sympathisants de l’AEHA qui auraient des idées en réserve ou des initiatives à proposer sur ce sujet : n’hésitez pas à nous en faire part. L’AEHA est une association qui ne vivra que par ce qu’en feront ses membres.

 

J’ai parlé de la chimie, des rendements… Ce ne sont évidemment pas les seuls thèmes qui devraient nous intéresser. Il y en aurait bien d’autres. Chacun de vous, j’en suis sûr, a son idée sur la question. Une des tâches qui sont devant nous est justement de recenser ces thèmes, qui pourraient donner lieu à séminaires, colloques, publications... Certains ont déjà été bien explorés : je pense entre autres à l’histoire de la science des sols, sous l’impulsion de Jean Boulaine, ou à celle de l’enseignement agricole, dont vous savez tout ce qu’elle doit à Michel Boulet. D’autres semblent l’avoir été beaucoup moins, ainsi l’agronomie coloniale1, la protection sociale des agriculteurs, ou encore les sociétés d’agriculture de province, dont certaines, ne l’oublions pas, sont nées à peu près en même temps que la nôtre (voire auparavant, la première ayant été celle de Rennes). Je ne vais pas vous infliger une liste de thèmes possibles, il y en aurait trop, c’est une discussion qu’il faut réserver pour une autre fois. Et de toutes façons, le choix sera toujours en fin de compte une question de personnes. Je vais me borner à deux exemples, qui me sont venus à l’esprit un peu par hasard.

Le premier pourrait être intitulé « Armées et agriculture ». Pourquoi l’armée, la guerre ? Pour au moins trois raisons. D’abord parce que l’intendance des armées s’est toujours beaucoup intéressée à l’agriculture pour nourrir les hommes, et que l’époque n’est pas si lointaine où les cavaleries et les artilleries de campagne achetaient des chevaux par milliers (des chevaux qu’il fallait aussi nourrir, bien sûr)2. En second lieu parce que l’alimentation des populations en temps de guerre a toujours posé des problèmes fort difficiles (réquisitions, rationnement…). Enfin, last but not least, parce qu’il existe au Ministère de la Défense un Centre d’Études de la Défense remarquablement actif, que nous pourrions peut-être proposer comme modèle à notre Ministère de l’Agriculture, où par contraste l’intérêt pour tout ce qui relève de l’histoire semble à peu près nul.

Le second thème pourrait être « Institutions paroissiales et structures des sociétés rurales ». Il s’agirait moins de remonter à l’origine des paroisses, qui se situe au Haut Moyen Âge, que de réfléchir à ce que nous leur devons aujourd’hui. Il fut un temps où les historiens s’intéressaient beaucoup aux seigneuries, et assez peu aux paroisses. Les choses ont changé, et la bibliographie du sujet commence à être assez fournie. Qu’est-ce que les lois et les usages en vigueur dans les sociétés rurales d’aujourd’hui doivent aux institutions paroissiales d’Ancien Régime ? C’est une question à laquelle, je crois, il est possible aujourd’hui de trouver des éléments de réponse. J’ajoute que les paroisses sont une spécificité européenne. Une comparaison avec les autres parties du monde nous apprendrait peut-être pas mal des choses sur les facteurs institutionnels qui ont fait que nos sociétés rurales sont devenues ce qu’elles sont.

 

Je ne propose pas de mettre ces deux thèmes en priorité. Ce sont seulement deux exemples sur lesquels nous pourrons ou non travailler, selon les opportunités qui se présenteront. Ce qui me semble souhaitable est que dans les mois qui viennent, nous établissions ensemble une liste des thèmes qui nous intéressent, entre lesquels le choix se fera en fonction des personnes et des circonstances.

À la suite de cette assemblée, nous aurons d’ailleurs deux heures d’échanges sur un de ces thèmes possibles : la volatilité des prix agricoles. Le problème est fort ancien, mais il s’est imposé à nouveau dans notre actualité comme s’il était nouveau. C’est pourquoi il n’est peut-être pas mauvais que des économistes et des historiens échangent ce qu’ils savent (et ce qu’ils ignorent) sur ce sujet.

 

Je termine en résumant les appels que j’ai cru devoir vous faire. Il nous faut trouver des personnalités susceptibles de s’engager dans la réalisation des guides départementaux. Il nous faut trouver des contacts utiles dans le monde de l’enseignement agricole. Et il nous faut choisir les thèmes de travail les plus fédérateurs pour nourrir notre réflexion sur le rôle de l’histoire dans la compréhension du présent. Si vous avez des idées, des suggestions, des propositions, n’hésitez pas à vous manifester. Encore une fois, l’AEHA sera ce que nous en ferons tous.

 

Le 29 janvier 2012
François Sigaut.

1 Je m’en voudrais ici de ne pas signaler le livre de mémoires publié récemment par notre confrère Jacques Arrignon, parce que j’en ai découvert l’existence purement pas hasard. Et pourquoi ne pas rappeler aussi ce grand classique qu’est l’Histoire du froid artificiel, publié en 1978 par André Thévenot, qui fut aussi des nôtres ? Ce pourrait être une des tâches de l’AEHA de recenser ce genre d’ouvrages, dont la diffusion reste trop souvent confidentielle.

2 Dans une de ses deux communications pour la journée « Histoire », notre confrère Jacques Risse cite Edmond Lavalard (1839-1916), vétérinaire à la Cie générale des Omnibus, qui fut aussi membre de la Commission mixte des Remontes de l’armée.