Hommage au nom de sa famille

Discours de Jacques Holtz, neveu de François Sigaut, lors de la cérémonie d’hommage, le 10 novembre 2012 à l’Académie d’Agriculture de France (Paris).

Je veux d’abord vous remercier, Monsieur le Président, d’avoir bien voulu nous accueillir, famille et amis de François, dans le cadre de cette institution dont il faisait partie, ce dont il ne s’est jamais vanté en famille.

Je suis donc Jacques Holtz, l’aîné des neveux de François Sigaut, avec le redoutable honneur d’introduire cette cérémonie d’hommage qui lui est consacrée aujourd’hui, jour où il aurait eu 72 ans. Je suis accompagné ici par ma mère Marie-Jo, de 15 ans sa sœur aînée, ainsi que par quelques autres membres de la famille, cousin et nièce. Marilène, son autre sœur n’a pu venir, mais nous accompagne par la pensée.

Dès que François a eu conscience de la gravité de son mal, début septembre, il s’est empressé de désigner deux exécuteurs testamentaires, René Bourrigaud et moi-même, car il avait un fort souci de la transmission et de la pérennité de son œuvre, nous faisant confiance pour que ses écrits, ses objets de collection, les livres qui ont constitué le socle de son œuvre ne soit pas dispersés « à la kalachnikov », comme il nous l’a écrit, et surtout qu’elle puisse servir à ceux qui voudraient la poursuivre.

Il n’est pas question pour moi de vous faire une biographie complète du personnage, j’en donnerai seulement quelques éléments clés.

François est né à Reims, le 10 novembre 1940, au retour de l'exode, au début de l'occupation allemande, période dont il n'a pu se souvenir, pas plus que des efforts de ses parents pour lui procurer nourriture et sécurité…

C’était le plus jeune d’une fratrie de 5 enfants, arrivé 2 ans après le décès d’un frère aîné, dans un accident de voiture, évènement qui, naturellement, a fortement marqué la famille.

Il était issu d’une famille de pain-d’épicier rémois, dont l’affaire avait été montée par son grand-père à la fin du XIXe siècle, et dont il a raconté l’histoire dans un article contenu dans un ouvrage consacré au seigle, publié en 1995.

Si j’en crois le témoignage de ses sœurs aînées, et sous leur contrôle ici-même, c'était un enfant précoce : à dix-huit mois, il construisait des phrases comme un adulte ; à dix ans, il lisait in extenso Les Martyrs de Chateaubriand ! Ce qui n’excluait pas d’autres passions, comme les trains électriques - il passait des heures à quatre pattes, à les faire tourner au milieu des soldats de plomb, ou la lecture du Journal de Spirou…

Il fit sa scolarité chez les Jésuites de Reims, qui l'auraient volontiers favorisé, vu sa vivacité d'esprit, mais François n'acceptait pas d'être traité autrement que les autres. Déjà son rejet du vedettariat, du favoritisme et des avantages qui vont avec, ce qui fut une constante de son caractère. Il savait se contenter de peu, ce qui se confirma durant les soixante-douze années de son existence.

Après sa prépa à Stanislas, ce fut l'Institut National d'Agronomie, promotion 1960. Pour le reste de son histoire professionnelle, vous en savez plus que nous, et serez mieux à même d’en parler, d’évoquer ses thèmes de recherche, ses qualités de chercheur et de d'enseignant.

Pour nous, famille, François était un cas. Personne chez nous n’étant d’origine agricole, il était difficile, pour la plupart de ses proches, de partager ses centres d’intérêt. Ajouté à une réserve, à un quant-à-soi, dont on ne sait si c’était de la génétique Sigaut ou de l’acquis, la communication n’était pas toujours facile. Et pourtant, il attirait, il fascinait, parfois rebutait, mais avec une gentillesse désarmante.

Et s’il faisait croire à sa famille qu’il s’intéressait peu à elle, il ne manquait pas de vouloir lui faire partager néanmoins ses découvertes, et de l’édifier, si ce n’est de l’éduquer. Il nous a fait connaître ainsi le sapeur Camember et le savant Cosinus, à une de mes sœurs il a offert un Astérix, mais en latin...

Dans la même veine, avec son sens de la provocation, laquelle n'était jamais gratuite, plutôt de la joyeuse facétie, il ne manquait pas de nous étonner : ainsi, il y a quelques années il décida d’instruire très sérieusement ses nièces, neveux et sœur aînée (« comment, vous ne connaissez pas ça ? ») en leur offrant « l’art de péter » de Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut, auteur du XVIIIe siècle, dont il avait décidé que cela devait faire partie de notre culture.

Sur le plan plus personnel, je lui dois d’avoir entrepris des études d'agronomie à mon tour, peut-être, sans doute, dans le secret espoir de pouvoir me rapprocher de lui.

Ce qu’il n’a pas manqué de faire, de loin en loin, quand il me demandait de faire quelque enquête sur les silos à grains souterrains en Algérie, lors de ma coopération, ou bien de lui débroussailler le terrain à Lauzerte quand il s’est mis en tête de sortir Paul Lacombe de l’oubli.

Et puis le contact, c’étaient les vacances en Vendée, dans cette maison acquise par son père pendant la dernière guerre, qui est devenue après son décès en 1992, sa maison de référence, et qu'il aménagea ces dernières années, dans l’espoir sans doute d’y passer l’essentiel du reste de son temps, malheureusement bien écourté. Je crois que beaucoup d’entre vous la connaissent.

François n’a pas commis d’excès à notre connaissance, aussi personne ne s'attendait à ce qu'il connaisse une maladie aussi grave, aussi tôt, avec une fin aussi rapide. Il l'a vécue avec une grande lucidité et un grand courage, tout en gardant une forte envie de vivre encore. Il a pris le soin de transmettre ses consignes à ses proches, pour que l'œuvre de sa vie ne se perde pas. Les derniers temps, il nous remerciait beaucoup de ce que nous faisions pour lui. La maladie semblait avoir fait sauter le verrou de sa trop grande discrétion. Nous avons alors découvert le meilleur de lui.

Cette force de vie qu’il nous a montrée jusqu’à la fin, elle s’est traduite également par le souhait que ses funérailles ne soient pas l’occasion seulement de tristesse, mais aussi de partage avec ses amis de ce qu’il aimait, avec ce sens de la dérision qui n’appartenait qu’à lui, et qui l’a sans doute aidé à surmonter son épreuve. C’est ainsi que j’ai retrouvé chez lui un papier intitulé « Funérailles », où il exprimait l’envie, confirmée à certains visiteurs oralement alors qu’il était à l’hôpital, que l’on écoute à cette occasion quelques airs, chansons et sketches qui l’ont marqué. Dernières volontés que nous essaierons de respecter ici ce jour, en présence de ses amis.

Voilà, je laisse la place à celles et à ceux qui souhaitent lui rendre hommage.

Cette manifestation est l'occasion d'entendre « cette multitude cachée, rassemblée ici, alors que chacun entretenait avec lui une relation singulière » comme j’ai pu le lire dans un mail de condoléances. L’occasion également d’exprimer « les qualités qui savaient si bien nous réunir autour de sa figure de solitaire paradoxal », lu dans un autre mail.

Mais nous tenons à exprimer, au nom de la famille, un grand merci à tous ceux qui l'ont accompagné ou soutenu par la pensée, par leur présence ici, ou à ses côtés pendant sa maladie. Merci pour lui.

Jacques Holtz et famille
le 10 novembre 2012