Adieu François
François Sigaut nous a quittés le 2 novembre, (il allait avoir 72 ans le 10), emporté en quelques semaines par un cancer du foie et du pancréas.
Nous étions quelques-uns à le revoir une ou deux fois l’an (Jean Adam, Pierre-André Lambert, Jacques Stefani et nous, entrés comme lui à l’Agro en 60, plus Philippe Lhoste, de la promotion précédente). Les rencontres avec François étaient toujours agréables et enrichissantes. Nous alternions un peu de tourisme et de gastronomie mais aussi quelques aspects professionnels avec des « prises de tête » agronomiques dans leurs dimensions techniques, économiques, sociologiques….
Ainsi avons-nous fait halte à Reims où François nous parla de ses racines familiales. A Curzon, aussi, en lisière du marais Vendéen, un jour de lâcher de bétail dans les prés « communaux ». Ainsi avons-nous pu renouer avec cet agronome curieux (dans tous les sens du terme). Certes ses cheveux roux avaient blanchis mais le temps avait confirmé son goût pour la langue française et les chansons légères et surtout sa passion pour l’histoire (des techniques), ses paradoxes et ses détails explicatifs. Ses collections bibliographiques étaient impressionnantes.
Cependant il ne nous a rien dit lorsque nous l’avons revu en juin et même fin août de cette année ; ni de sa santé ni du dernier essai qu’il s’apprêtait à faire paraître : « Comment Homo devint faber»*. Faber et tout autant sapiens, puisque François rejette d’emblée ce distinguo : « Ce fut une erreur (due à notre vanité) d’avoir donné à notre espèce le nom d’homo sapiens. Il eût été plus réaliste de l’appeler homo faber ». D’où le choix du titre de son livre. Mais qu’il nous le pardonne, choix un peu malheureux qui pourrait nuire à son audience. Beaucoup s’attendront à quelque traité sur les pierres taillées ou les ossements travaillés, alors que le propos est d’une tout autre portée. L’ensemble dans une langue riche, accessible et néanmoins toujours précise.
François Sigaut démontre comment l’hominisation de l’espèce s’est faite par le geste outillé ; par la valorisation personnelle, collective et sexuelle des inventeurs, ceux que les autres espèces ne font, depuis la nuit des temps, que marginaliser.
Il s’agit donc d’une contribution majeure pour la compréhension de qui nous sommes et par conséquent une source essentielle pour les éducateurs. Comme l’espèce tout entière, chacun de nous ne doit-il pas suivre un chemin d’hominisation ?
Ce petit mot n’est donc pas tant un panégyrique qu’une insistante invitation à lire l’ultime et majeure contribution qu’il nous livre, au moment où il nous quitte, comme un précieux testament.
Guy Emerard et Jean Ruche
*« Comment Homo devint faber », CNRS éditions, (octobre 2012, 230 p., 10 €)