2007a) « Les outils et le corps »

Communications, 81, « Corps et techniques » : 9-30.
[persee.fr] [Tiré à part] [Tapuscrit]

LES OUTILS ET LE CORPS

 L’idée que les outils sont le propre de l’homme est probablement aussi ancienne que la philosophie, en Europe tout au moins. C’est avec des outils (au sens large du terme) que l’homme compense la nudité naturelle qui le distingue des animaux. Il n’a pas de cormes, de crocs ni de griffes, mais il se fabrique des armes. Sa peau est dépourvue de fourrure ou d’écailles, il la protège avec des vêtements, et ainsi de suite. Les autres animaux sont dotés par la nature des « outils » qui leur sont nécessaires, l’homme seul fait exception. Mais s’il ne reçoit pas d’outils à sa naissance, il reçoit autre chose : des mains et une intelligence qui lui permettent de fabriquer ceux dont il a besoin. Lorsqu’il définit l’homme comme un tool-making animal, Benjamin Franklin (1706-1790) ne fait que reprendre un lieu commun fort ancien, dont l’expression la plus complète se trouve peut-être dans un texte attribué à St Thomas d’Aquin à la fin du XIIIe siècle :

L’homme est par nature un animal social et politique, vivant en groupe, à la différence de tous les animaux, ce que montre clairement la nécessité naturelle. Car aux autres animaux, la nature a préparé leur nourriture, du poil pour vêtement, des dents, des cornes, des griffes pour se défendre, ou au moins la vitesse pour s’enfuir. L’homme n’a reçu de la nature aucune des ces choses, mais pour en tenir lieu il a reçu la raison, grâce à laquelle il peut faire usage de ses mains pour se les préparer lui-même, tâche à laquelle un homme seul ne peut pas suffire. Car un homme seul ne pourrait pas se suffire pendant toute sa vie. Il est donc naturel à l’homme de vivre en sociétés nombreuses1.

Assez bizarrement, les philosophes modernes n’ont pratiquement rien fait de cette idée. Y compris les marxistes, qui se sont contentés de paraphraser St Thomas (à leur insu, je présume). Il est vrai que pour aller plus loin, il fallait des ressources que seules la préhistoire et l’ethnographie pouvaient apporter. Mais même quand ces ressources eurent commencé à prendre de l’importance, les philosophes ne se bousculèrent pas pour en tirer parti. Les découvertes de Boucher de Perthes sont validées par le monde savant dès 1859, mais il faut attendre 1907 pour voir un philosophe de premier plan prendre en compte les acquis de la préhistoire dans sa réflexion : il s’agit de Bergson dans L’Evolution créatrice. Je ne suis pas un fanatique de Bergson. Mais il faut rendre à chacun son dû. Lorsqu’il soutient que, pour caractériser zoologiquement l’espèce humaine, il eût mieux valu parler d’Homo faber que d’Homo sapiens, Bergson se situe dans le droit fil de Franklin et de St Thomas2. Sa proposition, il est vrai, fut trop souvent mal comprise. De nombreux préhistoriens crurent qu’il s’agissait de distinguer deux stades successifs de l’évolution, un stade « faber » primitif et un stade « sapiens » qui est celui des hommes actuels. Ce contresens, qui fut réfuté par Leroi-Gourhan en 19523, n’est pas le fait de Bergson. Pour lui, Homo faber devait désigner l’humanité actuelle. Car cette intelligence dont nous faisons tant de cas ne pourrait pas exister sans les activités matérielles, fabricatrices, qui sont son terrain d’exercice. L’intelligence implique l’outil. Hors de là, il n’y a que fumées métaphysiques.

Parmi les disciples de Bergson, il faut citer Edouard Le Roy (1870-1954), Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) et André Leroi-Gourhan (1911-1986). Le premier est tombé dans un oubli que j’estime tout à fait injuste, et injustifié. Les deux autres, au contraire, ont acquis, pour des raisons différentes, une renommée durable. Je ne peux pas développer ici, à leur propos, des commentaires qui nous éloigneraient de notre sujet. Mais il fallait rappeler leurs noms pour donner une idée de la force et de la durée de l’influence des idées bergsoniennes sur les préhistoriens français. Sur Leroi-Gourhan surtout, car c’est un fait qui n’est guère reconnu, mais qui saute aux yeux lorsqu’on le lit en parallèle avec Bergson. Cela dit, pour la question qui nous occupe, deux auteurs antérieurs à Bergson eurent une importance comparable à la sienne : le général anglais Pitt Rivers, et le philosophe allemand Kapp.

J’ai publié naguère sur le premier un article auquel je me permets de renvoyer le lecteur4. Augustus Henry Lane Fox Pitt Rivers (1827-1900), rejeton d’une très illustre famille, fut d’abord un collectionneur ; ses collections sont toujours visibles au musée qui porte son nom à Oxford. Il fut très tôt convaincu par les idées de Darwin. Mais comment appliquer la théorie de l’évolution à l’espèce humaine et à la diversité des sociétés ? Pour lui, le concept-clé était celui d’invention. Le développement, la diversification des sociétés humaines ne pouvaient s’expliquer que par le cumul des inventions successives. Mais comment expliquer l’invention elle-même, et plus exactement ses commencements ? Pour Pitt Rivers, toute invention suppose une recombinaison d’idées pré-existantes. Or plus on remonte dans le passé de l’espèce, plus ce capital d’idées pré-existantes est réduit, jusqu’à ce qu’on en arrive à un stade initial où nos tout premiers ancêtres n’en avaient plus du tout. Dans cet état « d’inanité complète », comment comprendre qu’ils aient pu inventer quoi que ce soit ?

La première solution trouvée par Pitt Rivers fut d’imaginer que les premiers humains avaient commencé… en copiant les outils des animaux ! Cette hypothèse, qui nous paraît assez baroque aujourd’hui, ne l’était pas tellement quand parut son premier article, en 1867, puisque personne alors n’était allé plus loin que St Thomas. Cependant, Pitt Rivers renonça à cette hypothèse dès l’année suivante, pour deux raisons. D’abord parce que les outils de pierre, que les préhistoriens commençaient à exhumer en grand nombre, ne ressemblaient à rien de connu chez l’animal. Ensuite parce qu’un inventaire des « outils » du monde animal5 lui montra que la plupart d’entre eux faisaient partie du corps de l’animal lui-même, alors que l’emploi de « substances externes » y était extrêmement rare. Or c’était justement cet emploi qui caractérisait l’outillage humain. Avec toutefois une exception remarquable, celle des singes. « Les singes [monkeys] ont l’intelligence, non seulement de lancer des pierres, mais même de les utiliser pour casser les coquilles de noix. » Et à force de casser des noix, il devait arriver de temps en temps que la pierre elle-même se brisât, produisant des pointes ou des arêtes tranchantes. A partir de là, le processus de l’invention avait enfin une base de départ.

Les publications fondamentales de Pitt Rivers s’échelonnent de 1867 à 1875, et il n’est pas inutile de rappeler que c’est seulement un siècle plus tard qu’on (re-)découvrira que casser les noix à l’aide d’un percuteur est une pratique courante dans certains groupes de chimpanzés. (Il ne serait pas illégitime de s’interroger sur les raisons d’une cécité aussi prolongée !) Quoi qu’il en soit, c’est presque en même temps, en 1877, que parut l’autre ouvrage fondamental, celui d’Ernst Kapp, Grundlinien einer Philosophie der Technik – Zur Entstehungsgeschichte der Cultur aus neueren Gesichtspunkt, où la théorie de la projection organique (Organprojektion) fut proposée pour la première fois.

Le succès de cette théorie s’explique en partie par sa facilité, celle des explications verbales, mais davantage peut-être par sa conformité avec l’esprit du siècle. Le romantisme en littérature, le magnétisme en psychologie, l’hégélianisme en philosophie, le spiritisme en religion, etc., sont autant de manifestations de cet attrait pour l’obscur, pour l’occulte, pour l’incompréhensible en tant que tel, qui caractérisent la réaction contre l’esprit des lumières au XIXe siècle, et dont on n’a peut-être pas assez mis en évidence l’unité profonde. On trouve chez Kapp un chapitre entier sur l’inconscient, concept qui venait d’être mis à la mode par von Hartmann (Philosophie des Unbewussten, 1868). Pitt Rivers avait d’emblée écarté l’instinct comme le type même d’explication illusoire parce que verbale. Avec la théorie de la projection organique, c’est pourtant un modèle explicatif qui va parasiter la pensée des préhistoriens pendant longtemps. Leroi-Gourhan lui-même, infidèle en cela à l’enseignement de Bergson, écrira en 1964 encore dans Le Geste et la parole6 : « Nous sommes parvenus à cette notion de l’outil comme une véritable sécrétion du corps et du cerveau des Anthropiens…». Belle métaphore, peut-être, mais à laquelle on serait bien en mal de trouver un sens concret. Dès 1928 pourtant, Edouard Le Roy avait posé les bases d’une réflexion plus sérieuse, dans laquelle il reprenait, sans s’en douter peut-être, l’essentiel des idées de Pitt Rivers :

Comment les premiers instruments véritables furent-ils créés ? Tout le monde connaît la théorie de la projection, d’après laquelle « instinctivement » les Hommes auraient projeté le bras dans le bâton, le doigt dans le crochet ou l’hameçon, le poing dans le caillou percuteur. Elle a beaucoup d’illusoire ; car ce qu’il faut expliquer surtout, ce n’est pas que l’instrument prolonge et imite l’organe : c’est l’idée même de chercher un tel prolongement, une telle imitation, d’utiliser à cet effet les propriétés de la matière inerte, bref d’entrer dans les voies de l’artificiel ; et invoquer pour cela un « instinct », qu’est-ce autre chose que nommer le fait, non en rendre compte ? Quoi que l’on fasse, on n’évitera jamais ici la nécessité de recourir à un facteur d’invention proprement dite : simple mot toujours, mais qui évoque au moins l’idée de problème à résoudre. Il convient seulement de noter que cette invention initiale relève de l’ordre technique, non spéculatif ; qu’elle suppose un corps à corps direct avec la matière dans une expérience de gestes pragmatiquement jugés d’après le résultat obtenu…7

Il y a un point, cependant, sur lequel ni Pitt Rivers ni Le Roy n’ont insisté, bien qu’il eut été de nature à renforcer singulièrement leur argumentation. Je veux parler de l’apprentissage. Le geste technique est toujours appris. Les jeunes chimpanzés mettent jusqu’à sept ans pour apprendre à casser convenablement les noix. Les enfants humains y mettent moins longtemps, mais c’est seulement ces toutes dernières années que la comparaison a été faite8. Là encore, force est de constater une certaine carence des recherches. Alors que la littérature sur l’apprentissage est innombrable, celle qui concerne les gestes outillés est relativement pauvre. Je n’ai trouvé que deux auteurs qui se soient vraiment posé le problème : André Rey (L’Intelligence pratique de l’enfant, 1935) et Pierre Mounoud (Structuration de l’instrument chez l’enfant, 1970). Tous deux, le second surtout, mettent en évidence un stade pré-instrumental, qui prend fin à l’âge de quatre ans, pendant lequel l’enfant n’a pas la notion de l’outil. Il peut lui arriver d’utiliser un objet pour parvenir à ses fins (tout l’art de l’expérimentateur est de lui fournir cette possibilité). Mais il attend que cet objet –un bâton par exemple- agisse comme si sa main était au bout. Et comme cela ne se produit pas, il abandonne en manifestant parfois une certaine surprise. L’explication la plus probable est qu’il n’est pas encore capable de se détacher suffisamment du but qu’il cherche à atteindre, pour prêter un minimum d’attention à ce qui n’est qu’un moyen possible pour atteindre ce but. Il ne sait pas encore faire la différence entre l’objet-moyen et son propre corps.

En un sens, l’enfant au stade pré-instrumental agit conformément aux prévisions de la théorie de la projection. Mais c’est précisément pour cela qu’il échoue. C’est seulement entre quatre et huit ans, en passant par une série de sous-stades décrits par Mounoud, qu’il apprendra à traiter les objets, non plus comme de simples prolongements de lui-même, mais comme des êtres de plein exercice, dotés d’un mode d’agir qui leur est propre. Tous comptes faits, la théorie de la projection organique n’est pas sans intérêt. Elle a celui, non négligeable, d’aller exactement à l’opposé de la bonne direction.

* * *

Mais cette réfutation n’est-elle pas trop théorique ? Si on se tourne vers l’ethnographie, on trouve de nombreux exemples d’outils qui semblent si élémentaires, si rudimentaires, qu’il est difficile de n’y pas voir de simples prolongements de la main. Je pense à certaine pince à ramasser les châtaignes, qui m’a été donnée dans un village asturien en Espagne. L’objet est une baguette aplatie d’un peu plus de 70 cm de long sur 2cm de large et 1cm d’épaisseur - simple branche fendue en deux et courbée en son milieu pour lui donner la forme d’une pince. Cette pince fonctionne pratiquement comme la main qui la tient, qu’elle ne fait que prolonger, que protéger même contre les piquants des bogues. S’il existe un outil qui puisse être considéré comme une projection organique, c’est bien celui-là !

Un autre exemple est une paire d’écopes, ou plutôt de demi-écopes, qui étaient utilisées pour vanner le grain dans l’Egypte ancienne. Avec elles, le geste est exactement le même que celui qu’on fait avec les deux mains réunies en coupe pour prendre de l’eau, du sable, du grain ou tout autre matériau plus ou moins fluide. Nous avons la chance d’avoir en français un nom pour la mesure de capacité qui correspond à ce geste : la jointée. Les deux demi-écopes égyptiennes forment une jointée comme les deux mains, exactement de la même façon, les seules différences étant que la capacité du geste est accrue et que les mains ne sont plus en contact direct avec le grain à vanner. Notre problème avec les outils de ce genre est qu’ils sont d’apparence si simple, si banale, que les chercheurs ne les voient pas, ou que s’ils les voient ils ne se donnent pas la peine de les décrire (ce qui revient au même). Je ne connais pas de description de la pince à châtaignes. Pour les demi-écopes, l’iconographie est relativement abondante, mais c’est parce que nous sommes dans l’Egypte ancienne. Si l’outil a existé jusqu’à nos jours, comme c’est probable, la documentation n’a pas suivi. Je ne connais que deux descriptions modernes : l’une concerne l’Ethiopie, où la demi-écope est appelée magelabecha, l’autre les marais salants de la côte atlantique, où deux planchettes utilisées pour ramasser le sel de cette façon étaient appelées des saugeoires9.

La récolte des céréales fournit pas mal d’autres exemples. Un des modes d’action fondamentaux pour récolter ou égrener les céréales est l’érussage. Ce terme, absent de la plupart des dictionnaires courants (comme jointée d’ailleurs) désigne l’action de dépouiller une branche de ses feuilles, ou une tige de ses graines, en la pinçant et en la tirant entre les doigts. L’érussage est employé à des fins diverses. Je me borne à évoquer ici le cas de l’Extrême-Orient, où l’égrenage du riz par érussage a longtemps occupé une place importante, notamment au Japon. Le travail intervient après la récolte des panicules, qui ont été coupées à la faucille : il s’agit d’en détacher les grains. La méthode la plus simple est de prendre une panicule d’une main et de la tirer entre les doigts de l’autre main. Le problème est que le riz, comme toutes les céréales, est un abrasif énergique, et qu’il n’y a guère de mains, si calleuses soient-elles, qui résistent bien longtemps à ce traitement. On va donc utiliser deux baguettes pour remplacer les doigts. Ces baguettes peuvent ne pas dépasser la largeur de la main elle-même, ce qui a l’inconvénient (pour nous) de les rendre difficilement visibles sur les documents iconographiques. Mais on peut aussi utiliser des baguettes plus longues, de 30 à 40 cm. Outre qu’elles sont plus visibles, les baguettes longues ouvrent la voie à deux innovations qui ne sont pas sans importance. La personne qui s’en sert peut érusser plusieurs panicules à la fois, si elle en a la force. Il est aussi possible de travailler à deux : une personne tient les baguettes entre lesquelles la seconde tire les panicules à érusser ; ce qui permet à celle-ci d’employer ses deux mains pour traiter encore plus de panicules à la fois. Une autre solution est de fixer les baguettes l’une à l’autre, et de multiplier leur nombre : on passe alors au peigne à érusser, qui peut être tenu d’une main (comme les baguettes courtes), mais qu’on peut aussi faire beaucoup plus grand et fixer au sol par un bâti solide. Il n’y a plus besoin de quelqu’un pour le retenir, mais au contraire, plusieurs personnes peuvent y travailler côte à côte, égrenant chacune autant de tiges à la fois que leur force le leur permet. Le gain en productivité est considérable, et lorsque le peigne fixe s’imposa au Japon, au XVIIe siècle, il provoqua une mini-révolution. Avec les baguettes ou le peigne manuel, l’égrenage était un travail de femmes. Avec le peigne fixe (ina koki), il devint un travail d’hommes. Si bien que les veuves, dont c’était paraît-il la seule ressource, se trouvèrent réduites à mourir de faim. D’où l’autre nom, « tueur de veuves » (goke taoshi) qui fut donné à l’appareil.

Je laisse de côté tout ce qui concerne les sources, les lieux, les dates, etc. L’histoire réelle, on s’en doute bien, n’est connue qu’en pointillé10. Ce qui me semble important pour notre propos est qu’avec cet exemple, nous avons une séquence logique aussi complète qu’on peut le demander, allant d’un « outil » aussi rudimentaire que possible - deux petits bouts de bois pour remplacer les doigts - jusqu’à un appareil qui est presque une machine, qui le deviendra même à la fin. Que désirer de mieux pour appuyer la thèse de la projection organique ?

D’autant que cet exemple n’est pas unique. Il en est pas mal d’autres qui, sans présenter de séquence aussi étendue, vont dans le même sens. Je voudrais en citer deux : le seed-beater d’Amérique du Nord, et le couteau à moissonner d’Afrique et d’Indonésie (ani-ani).

Le seed-beater ressemble à une petite raquette de tennis, légèrement concave. Les Indiens de l’Ouest (Grand Bassin, Californie) s’en servaient pour moissonner certaines graminées sauvages, présentes en populations relativement homogènes et dont les graines tombent facilement à maturité. A l’aide de sa raquette, tenue d’une main, la femme frappait le haut des tiges pour faire tomber les graines dans un panier tenu par dessous de l’autre main. On imagine facilement (trop ?) que l’opération peut être exécutée à main nue ; elle peut en tous cas l’être avec un simple bâton, ce qui était le cas dans la région des Grands Lacs, où était récoltée ainsi une plante lacustre, Zizania aquatica (appelée wild rice par les Anglais, folle avoine par les Français). La récolte se faisait en canoë : une femme, assise à l’arrière, pagayait ; une autre, à l’avant, faisait tomber les graines dans le canoë, qui servait de récipient. Ailleurs, notamment en Afrique, mais aussi en Europe du Nord, on se servait du panier lui-même, en le balançant à bout de bras à travers les plantes mûres. Cette récolte est connue au Sahara par les travaux d’Edmond Bernus et de Marceau Gast. En Europe, on la connaît par des témoignages du XVIIIe ou du début du XIXe siècle ; la plante dont on récoltait les graines de cette façon, Glyceria fluitans, ressemble assez à Zizania, notamment par son habitat lacustre11.

L’ani-ani (c’est le nom du couteau à moissonner en Indonésie) ne ressemble pas du tout à l’idée que nous nous faisons d’un couteau aujourd’hui. La lame est minuscule, 3 à 5 cm de long plus ou moins, et il n’y a pas de manche. On la tient dans le creux de la main, entre deux doigts, parallèlement à l’axe longitudinal du bras. Les détails varient d’une région à l’autre, notamment entre l’Afrique, où l’outil est attesté le long de la rive Sud du Sahara, du Nil au Sénégal, et l’Extrême Orient, où la tenue en main est le plus souvent facilitée par une poignée perpendiculaire au plan de la lame. Mais dans tous les cas, semble-t-il, trois doigts restent libres, avec lesquels la personne saisit la tige de la céréale (millet, mil à chandelle, sorgho, riz…) et la sectionne en se servant du tranchant de la lame comme point d’appui. Ce mode opératoire tient le milieu entre briser et couper, on pourrait le définir comme une cueillette aidée. Une seule main travaille, l’autre reçoit les tiges coupées.

La série des outils qui travaillent de la même façon permet de mieux comprendre ce mode opératoire. L’« outil » le plus élémentaire, c’est l’ongle. L’usage de l’ongle pour récolter le riz a été décrit par H. C. Conklin chez les Hanunóo des Philippines au début des années 195012. A cette époque, les Hanunóo connaissaient le couteau à moissonner depuis des générations, mais ils le considéraient toujours comme un outil étranger et ne s’en servaient que pour quelques variétés particulièrement coriaces. Toutes les autres étaient récoltées à main nue, en s’aidant seulement de l’ongle d’un doigt pour « cueillir » la panicule.

Mais l’ongle lui-même n’a qu’une résistance limitée. Dans quelques îles de l’Indonésie, on lui a substitué ce que j’appellerais un dé à moissonner : un petit cylindre de bambou ou de métal, enfilé sur le bout d’un doigt et dont le bord antérieur se substitue à l’ongle. Dans les mêmes régions, on a aussi utilisé le bord d’une coquille d’un de ces petits mollusques qui se trouvent en quantité dans les rizières. Ce qui fait que pour interpréter le couteau à moissonner, on a le choix entre l’idée d’un ongle élargi ou celle d’une coquille artificielle…13

Que vaut cette interprétation ? Elle vaut ce que vaut le postulat implicite sur lequel elle repose : que l’évolution est allée du simple au complexe, de la main nue aux baguettes, de l’ongle au couteau, etc. Or nous n’avons aucune preuve que les choses se soient passées de cette façon. D’abord parce que tous ces exemples sont récents. Ils appartiennent tous à cette période qu’on appelle par convention le « présent ethnographique », qui couvre en gros les trois derniers siècles. L’iconographie, quand elle existe, permet de remonter plus haut, mais à l’exception des demi-écopes égyptiennes, elle ne nous conduit qu’au début de notre ère. Seul le couteau à moissonner a laissé des traces plus anciennes, grâce à l’archéologie, traces qui ne vont d’ailleurs pas au-delà du Néolithique. Ce qui n’a rien de surprenant, puisque tous ces exemples sont tirés de la récolte des grains, activité que les préhistoriens s’accordent à considérer comme tardive dans l’évolution de notre espèce.

Ensuite, et malgré la pauvreté de la documentation, il y a des indices suggérant qu’au moins dans certains cas, l’évolution a pu se faire en sens inverse de ce qu’on attendrait (la remarque en avait déjà été faite par Fischer (op. cit. 1936, p. 93). C’est qu’il faut tenir compte, entre autres, de la diversité du matériel végétal, qui fait que l’outil le plus « efficace » (pour le profane) n’est pas toujours le plus commode, le mieux adapté, etc. L’exemple des Hanunóo n’est pas unique. L’efficacité d’un outil ne peut s’évaluer que par rapport à tous les détails de la pratique. C’est l’ignorance de ces détails qui fait la force principale des théories abstraites.

 * * *

Résumons-nous. Les cas que nous avons rencontrés peuvent, me semble-t-il, être rangés de la façon suivante :

1.- La main travaille seule (main nue).

2.- La main travaille (agit sur la matière), mais avec l’aide d’un outil auxiliaire : dé et couteau à moissonner, baguettes courtes d’érussage, etc.

3.- La main tient et actionne un outil qui agit sur la matière de la même façon que ferait la main nue : pince à châtaignes, saugeoires et écopes à vanner, baguettes longues d’érussage, seed-beater

A quoi il faut bien sûr ajouter un dernier cas dont je n’ai pas donné d’exemple parce qu’il a quelque chose d’évident pour tout le monde 

4.- La main tient et actionne un outil dont le mode d’action diffère radicalement de celui de la main nue : hache, marteau, serpe, etc., soit la plupart de nos outils « ordinaires ».

Je proposerais d’appeler outils-prothèses ceux des classes (2) et (3), et, au moins provisoirement, outils vrais ceux de la classe (4). Pourquoi vrais ? Je préférerais moi-même un terme plus approprié. Je le propose faute de mieux, pour dire que ce qu’ils ont en propre, c’est d’agir d’une façon qui est physiquement impossible pour le corps humain. Ce n’est que l’application de la vieille idée de St Thomas revisitée par Bergson : le castor peut abattre des arbres avec ses dents, nous autres hommes avons besoin d’outils pour en faire autant. Or les cognées et les scies ont leur façon propre de travailler, qu’il faut apprendre à connaître et à respecter pour en obtenir les effets attendus.

Mais les outils vrais ne se distinguent pas seulement par l’originalité de leur mode d’action physique. On peut aussi, par rapport aux outils-prothèses, les caractériser comme nécessaires, alors que les autres sont auxiliaires. Je peux ramasser des châtaignes à main nue. La pince m’évite seulement de me piquer les doigts (et aussi d’avoir à me pencher trop bas). Je ne peux pas abattre un arbre, je ne peux même pas casser des noix un peu dures, en ne faisant usage que de mes mains, de mes ongles et de mes dents. L’outil auxiliaire rend une opération plus facile ou moins douloureuse, mais on peut s’en passer. L’outil nécessaire rend possible une opération qui ne l’était pas. Personne, dans la lignée humaine, n’a pu avoir l’idée d’abattre un arbre avant de disposer d’outils rendant l’opération pensable.

Cette distinction entre outils auxiliaires et nécessaires peut être discutée, et je reconnais volontiers qu’elle n’a plus grand sens dans nos sociétés industrielles (ou post-industrielles). Mais on m’accordera, j’espère, que cette objection n’est guère pertinente pour le problème qui nous occupe, qui est celui de Pitt Rivers : comment expliquer l’invention des premiers outils alors même que la notion d’outil n’existe pas ? comment, en un mot, expliquer l’invention de l’invention ? Il me semble que la distinction auxiliaire/nécessaire est de nature à nous y aider. Elle m’a conduit en tous cas à l’idée que le processus de l’invention a dû commencer par des outils nécessaires. Comment concevoir, en effet, que des êtres habitués à vivre sans outils d’aucune sorte aient commencé par en inventer dont ils n’avaient pas vraiment besoin ? Il faudrait faire intervenir un « instinct » spécial, encore moins concevable que cette inventivité venue de nulle part. Or justement, cette hypothèse est réfutée par ce que nous a appris l’observation des grands singes en liberté depuis un demi-siècle. Parmi les outils dont se servent les chimpanzés, il y en a au moins deux qui sont vrais et nécessaires : la baguette pour « pêcher » les termites et le percuteur/enclume pour casser les noix. Ni l’un ni l’autre de ces outils, certes rudimentaires, ne travaille comme ferait la main nue. Et dans le cas contraire, ils n’existeraient très vraisemblablement pas, parce que tout ce qu’on sait aujourd’hui des sociétés de primates montre que l’outil en lui même n’y suscite pas d’intérêt. Seuls y ont recours des individus trop mal placés dans la hiérarchie du groupe (jeunes, femelles dites périphériques) pour avoir mieux à faire14. Le dédain pour les techniques ne date pas des Grecs, il remonte aux babouins !

Mais s’il en est bien ainsi, quelle est la signification des outils-prothèses ? Elle est, me semble-t-il, de caractériser un autre moment dans l’évolution de l’espèce humaine : quand l’emploi d’outils (nécessaires) est devenu si ordinaire, si général, que le corps lui-même va être traité comme s’il était un outil. On va inventer pour lui des modes d’action nouveaux, originaux, qui n’appartenaient pas au répertoire naturel de l’espèce.

Un geste comme celui de la jointée permet de poser les questions de façon plus concrète. Dans la perspective qui est la nôtre ici, la jointée est un geste appris, pas inné, et dont l’invention doit être relativement récente dans l’histoire (la préhistoire plutôt) de notre espèce, puisqu’elle suppose l’existence préalable de récipients fabriqués. Quelle est l’ancienneté de la jointée ? Le geste est-il présent chez certains singes ? A quel âge et dans quelles circonstances apparaît-il chez l’enfant ? Autant de questions qui non seulement sont sans réponse, mais dont je n’ai jamais trouvé trace dans la littérature15.

La situation documentaire est un peu moins défavorable dans le domaine de certains sports. La natation, par exemple, est un sujet sur lequel Mauss avait déjà pu réunir pas mal d’informations dans ses « Techniques du corps ». La natation est naturelle chez beaucoup d’animaux, pas nécessairement aquatiques ; beaucoup de quadrupèdes notamment arrivent à se débrouiller lorsqu’ils tombent à l’eau. Ce n’est pas le cas des primates, encore que la documentation ne permette guère de se faire une opinion. Chez l’homme en tous cas, la natation doit être apprise, et il a donc fallu l’inventer. Quand, comment les choses se sont-elles passées ? Si on écarte les fictions plus ou moins fantaisistes, il ne reste qu’une hypothèse sérieuse : l’utilisation d’un flotteur. Dans un registre d’activités qui reste à préciser - peut-être la pêche à pied dans les cours d’eau peu profonds ou au bord de la mer - le recours à des flotteurs pour aider aux déplacements dans l’eau ou pour y déposer la récolte aurait suggéré, dans un second temps, de s’en servir comme point d’appui pour explorer des zones plus profondes que celles accessibles à pied. La plongée aurait précédé la nage, en quelque sorte. La nage proprement dite se serait développée comme un jeu ou comme une démonstration d’habileté dans l’exercice de la plongée.

Je ne donne cette hypothèse que pour ce qu’elle vaut ; je ne la crois pas vraiment nouvelle, d’ailleurs. Mais outre sa plausibilité, qui peut être trompeuse, elle a l’avantage d’être vérifiable, dans une certaine mesure. Dans de nombreuses régions du monde, il y a ou il y avait des groupes sociaux - souvent des groupes de femmes, notamment dans le Pacifique - spécialisés dans la pêche à pied et en plongée (coquillages, éponges, etc.). Le collationnement des faits observés depuis deux ou trois siècles dans ces groupes permettrait sans doute de vérifier concrètement la validité de cette hypothèse.

Autre exemple : la boxe. Le problème est peut-être ici plus compliqué, dans la mesure où il impose d’abord de bien distinguer la boxe proprement dite, une forme déterminée de combat à l’aide des poings, des autres formes de combat sans armes qui lui ressemblent plus ou moins. Je ne peux pas entrer dans le détail de cette discussion ici. Je me borne à citer l’exemple de la lutte, qui, comme la boxe et plus souvent encore, a donné lieu à des formes très codifiées dans de nombreuses sociétés. Mais la lutte est basée sur des prises, des clés, etc., qui ne sont que des développements plus ou moins savants de gestes naturels comme saisir, pousser, tirer, etc. Est-ce également un geste naturel que de frapper un adversaire avec le poing fermé ? Voilà la question que l’histoire de la boxe permet de poser, sinon de résoudre.

Rappelons d’abord que dans la boxe classique, telle qu’elle se pratiquait en Angleterre aux XVIIIe et XIXe siècles, on ne mettait pas de gants - dans aucun sens de l’expression. C’était un jeu brutal, voire cruel, où le sang coulait. L’emploi des gants appartient à une époque plus récente, plus soucieuse de respectabilité. On se battait à poings nus, et bien que la boxe fût déjà un art savant, demandant un entraînement poussé, l’usage des mains nues était précisément ce qui en faisait un méprisable jeu de brutes partout ailleurs qu’en Angleterre.

Un hasard heureux m’a fait connaître ce qui est peut-être la meilleure introduction au sujet : « Les deux bouviers », une nouvelle de Walter Scott publiée en 182716. L’histoire, non datée, se passe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Elle met en scène deux toucheurs de bœufs (drovers) qui conduisent leurs bêtes en troupeaux vers les grands villes anglaises. L’un d’eux, Robin Oig MacCombish, est écossais ; l’autre, Harry Wakefield, est anglais. Les deux hommes sont des amis de longue date, mais un différend survient entre eux, que l’Anglais propose de régler aux poings. « Mais… je ne sais pas me battre comme un singe, avec mes mains et mes ongles » objecte l’Ecossais, qui propose un duel à l’épée au premier sang. Rien n’y fera. Wakefield, excité par la boisson et plus encore par le public de l’auberge où ils logent tous les deux, ne veut jouer que des poings. Or « que peut la rage contre la science et le sang-froid ? Dans cette lutte inégale, Robin Oig fut renversé […] et resta sans mouvement sur le plancher de la cuisine… » Ulcéré, l’Ecossais se vengera à sa façon, avec des conséquences que je laisse découvrir au lecteur, avec le reste de l’histoire.

Y a-t-il des faits réels à l’origine de ce récit ? Il semble que oui, bien qu’on n’en ait pas trouvé la preuve17. Le thème, en tous cas, relève d’un genre assez classique : il s’agit d’un de ces malentendus culturels18qui ont de tous temps opposé les nations les unes aux autres, et qui ont notamment, pendant plusieurs siècles, rendu les Anglais si bizarres aux yeux des autres Européens - y compris donc des Ecossais. En l’espèce, le malentendu met en cause des conceptions différentes de l’honneur, c’est un point sur lequel W. Scott insiste à juste titre. Mais je crois que cela n’épuise pas le sujet. « Je ne sais pas me battre comme un singe… » dit explicitement Robin Oig. Il faut le prendre au mot. Sa protestation n’est pas seulement celle de l’honneur blessé. Elle exprime une véritable anthropologie, ordinairement tacite. L’arme, comme le vêtement (dont elle fait souvent partie) est le propre des êtres civilisés. Les animaux, les sauvages vont tout nuset se battent de même. L’idée de faire comme eux est insupportable. Si insupportable qu’elle empêche de voir ce qu’est réellement la boxe : un art réglé (quoique brutal) et même savant. Il n’en reste qu’un pugilat déshonorant.

Il me semble que l’anthropologie de Robin Oig est un peu celle de tout le monde. Elle a ce quelque chose de faussement évident qui caractérise les théories spontanées, et qu’on retrouve à l’arrière-plan de celle de la projection organique. Si en effet l’outil (y compris l’arme, le vêtement, etc.) est fondamentalement une projection du corps vers l’extérieur, alors son abandon apparaît nécessairement comme une régression vers l’animalité19. Dans cette perspective, les techniques du corps proprement dites sont aussi incompréhensibles, inconcevables, que pouvait l’être la boxe comme art pour Robin Oig.

Après la jointée, la natation et la boxe, j’aimerais évoquer un dernier exemple : l’alpinisme. Les premiers alpinistes étaient des explorateurs, pas des sportifs. Ils partaient en nombre, avec des échelles, des cordes, des pelles, des pioches et tout ce qu’il fallait pour franchir les passages difficiles. Tout ce matériel paraîtrait ridicule aujourd’hui. On l’a d’abord remplacé par des équipements plus légers, plus spécialisés. Mais le fin du fin actuellement est d’y aller presque sans rien, d’escalader à mains nues. Il ne s’agit plus d’exploration. Tous les sommets, toutes les voies sont connus, catalogués, classés en fonction de leur difficulté. Il s’agit de sport, c’est-à-dire de jeu20. Et ce qui caractérise le jeu, c’est que l’ordre des moyens et des fins y est comme inversé par rapport à l’action « utile ». Les fins n’ont plus d’intérêt en elles-mêmes (à quoi peut bien servir d’escalader l’Everest ?), elles ne valent que pour valider des démonstrations de force, d’adresse, d’endurance, de virtuosité, etc., dans l’emploi de moyens donnés. Moyens qu’on tend donc à limiter ou à codifier le plus possible. Pour que l’escalade de l’Everest ait encore un sens, il faut y aller à pied, pas en hélicoptère ; et pour qu’elle soit un exploit, il faut y aller sans oxygène. C’est pour la même raison que le lancer du javelot ou le tir à l’arc existent toujours, bien qu’on ne s’en serve plus à la guerre ni à la chasse.

Dans notre perspective, donc, le jeu a une importance diagnostique de premier ordre. A quel moment est-il apparu ? Pas plus que pour les techniques du corps, je ne connais d’hypothèse vraiment précise sur ce point. On parle de jeu chez les animaux, mais je ne suis pas sûr qu’il comporte cette inversion des moyens et des fins qui le caractérise chez les humains. Pour nous ici, l’existence du jeu signifie que la distinction entre les moyens et les fins, qui est à la base de la notion d’outil, est socialement reconnue. L’emploi d’outils est généralisé. Il n’est plus limité aux cas de nécessité. L’outil n’intéresse plus seulement pour les effets qu’il permet d’obtenir, il est objet d’intérêt pour lui-même, pour sa nouveauté, pour son originalité, pour les habiletés auxquelles il donne l’occasion de se manifester, etc. Les outils auxiliaires, les outils-prothèses deviennent concevables. Et finalement c’est le corps lui-même, dont les habiletés se sont multipliées et diversifiées par l’emploi des outils, qui pourra être considéré comme un outil.

A la théorie de la projection, je proposerais donc de substituer une théorie de l’inscription ou de l’incorporation. Les outils ne sont pas une projection de nos organes vers l’extérieur, ce sont au contraire certains fonctionnements du monde extérieur qui viennent s’inscrire dans notre corps. Le crochet ne prolonge pas le doigt, c’est le doigt qui se recourbe comme un crochet. L’arme n’est pas un poing allongé ou renforcé, c’est le poing qui imite l’arme. Il arrive même que le corps soit mis à travailler sur le mode outillé, alors même qu’il n’y a pas de modèle instrumental à suivre : je pense que c’est le cas de la plupart des techniques de récolte des grains que j’ai évoquées plus haut. Car pour récolter et consommer des grains en quantités plus que négligeables, il faut de toutes façons un outillage (ne serait-ce que des paniers pour porter la récolte). Que, parmi toutes les opérations nécessaires, il y en ait qui se fassent à mains nues, c’est évident. Mais on constate qu’alors la main ne travaille pas de façon « naturelle », comme lorsqu’il s’agit de cueillir des fruits. Elle travaille, dans l’érussage par exemple, d’une façon originale et qu’il a fallu inventer.

En définitive, et même si c’est un hasard, c’est peut-être l’étymologie qui nous suggère le mieux quel a dû être le sens général de l’évolution. Quand on s’est avisé de parler des organes du corps, il a fallu trouver un mot adéquat : on a pris le mot őργανον, qui signifiait « outil » en grec classique. Cela ne prouve rien. Mais cela donne tout de même à réfléchir.

* * *

Qu’on me permette maintenant de proposer un exercice un peu scolaire : un commentaire de texte. Voici d’abord le texte, ou plutôt les extraits que j’en ai choisis :

la notion de nécessité, telle que la pensée humaine la forme, n’est proprement applicable qu’à lamatière […] C’est pourquoi, lorsque les mouvements du corps vivant jouent le premier rôle dans la lutte contre la nature, la notion de nécessité peut difficilement se former […] C’est ce qui a lieu dans les actions accomplies ou sans instruments ou avec des instruments si bien adaptés aux membres vivants qu’ils ne font guère qu’en prolonger les mouvements habituels. [D’où l’importance prise par la magie et les superstitions…], mais leur emprise perd sa force à mesure que, dans la lutte contre la nature, le corps vivant passe au second plan et les instruments inertes au premier. […] Dès lors il n’y a plus aucune correspondance entre les gestes à exécuter et les passions ; la pensée doit se soustraire au désir et à la crainte, et s’appliquer uniquement à établir un rapport exact entre les mouvements imprimés aux instruments et le but poursuivi. […] L’attention se porte exclusivement sur les combinaisons formées par les mouvements de la matière inerte, et la notion de nécessité apparaît dans sa pureté, sans aucun mélange de magie.

[…] Une vue claire du possible et de l’impossible, du facile et du difficile, des peines qui séparent le projet de l’accomplissement efface seule les désirs insatiables et les craintes vaines ; de là et non d’ailleurs procèdent la tempérance et le courage, vertus sans lesquelles la vie n’est qu’un honteux délire. Au reste toute espèce de vertu a sa source dans la rencontre qui heurte la pensée humaine à une matière sans indulgence et sans perfidie… (Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, [1934], Gallimard 1980, pp. 94-96 et 90-91.)

 

Voici maintenant mon commentaire.

L’idée fondamentale est bergsonienne : l’intelligence humaine s’et formée dans la confrontation avec la matière inerte. A la différence de Bergson, toutefois, S. Weil admet les postulats de la théorie de la projection, ainsi que ceux de Lévy-Bruhl dans La mentalité primitive (1922). C’est excusable, elle avait 25 ans en 1934 ! Cela complique son propos (surtout lorsqu’on lit les passages que je n’ai pas retenus ici). En revanche, cela le rend d’autant plus attachant qu’on y suit au naturel, pour ainsi dire, l’effort d’une pensée forte pour s’affranchir des lieux communs de son temps.

L’originalité de S. Weil, me semble-t-il, c’est d’insister sur l’ascèse psychologique, et même morale, qu’implique la manipulation efficace de la matière. La matière, dit-elle, est « sans indulgence et sans perfidie…». Admirable formule ! Car c’est précisément cette impassibilité de la matière dans l’action outillée qui nous enseigne la nécessité, d’où procèdent l’objectivité et la vérité. Depuis plus de vingt-cinq siècles, nos moralistes répètent à l’unisson (les voix discordantes sont inaudibles dans la masse) que ni la science ni encore moins la technique ne sont porteuses de valeurs morales. En quelques lignes, S. Weil prouve le contraire. « Toute espèce de vertu… », dit-elle : elle a entièrement raison et elle a raison d’être entière. Il n’y a pas de subtilités qui tiennent contre cette remarque toute simple : que les valeurs morales impliquent la notion de vérité, et que la notion de vérité n’a pas pu se former autrement qu’à l’école de la nécessité, c’est-à-dire dans l’action outillée.

Mais cet aspect moral n’est pas celui qui nous intéresse le plus ici. Lorsqu’elle parle de nécessité, S. Weil nous invite à aller plus loin. La notion n’est certes pas nouvelle, le vieil adage baconien (« on ne commande à la nature qu’en lui obéissant ») suffirait à nous le rappeler. Ce qui est nouveau chez S. Weil, c’est qu’elle en place l’origine, non dans la pensée des philosophes ou des savants, mais dans l’activité des artisans. On n’apprend pas à manier correctement un outil quelconque sans tenir compte des nécessités qui y sont impliquées ; sans ce « corps à corps avec la matière dans une expérience de gestes pragmatiquement jugée » dont parle E. Le Roy. Or cet apprentissage de la nécessité est aussi celui de la conscience. Pour arriver au but que je désire, je dois partager mon attention entre celui-ci et des moyens qui sont nécessaires, mais sans rapports naturels ni avec ce but ni avec moi-même. C’est ce partage qui me force à prendre conscience de l’existence propre des choses. Il y a une réalité autre que mes désirs. Donc il y a moi. Donc il y a aussi autrui, avec qui je dois partager mon expérience de la réalité pour qu’elle soit complète. J’ai appelé triangle du sens cette relation réciproque entre le réel, moi (ego) et autrui qui est le fondement de la sociabilité humaine21. C’est dans l’action outillée qu’elle se construit

* * *

J’ai été amené, dans le cours de ce travail qui ne devait porter que sur les techniques du corps, à parler du jeu. Il me semble nécessaire pour conclure de proposer quelques réflexions d’ordre général sur ces deux thèmes.

Et d’abord, me semble-t-il, il va maintenant de soi que les techniques du corps ne peuvent pas se définir par l’absence d’outils. Le répertoire des gestes innés chez l’enfant est très limité. En dehors de ceux-là, tous nos gestes sont appris, donc d’une certaine façon outillés. Car même lorsque l’outil n’est pas présent matériellement, il l’est virtuellement, dans le processus (pré-)historique qui a donné naissance au geste. Encore une fois, le récipient est présent dans la jointée et l’arme dans le poing. Et très souvent aussi, l’absence d’outils n’est qu’une apparence trompeuse. Qu’y a-t-il de plus « naturel » que la course à pied, par exemple ? Mais qu’on observe une épreuve de 100 m dans un stade : les chaussures et les vêtements des coureurs, les starting-blocks, la piste, etc., sont autant d’outils dont l’efficience est calculée avec la dernière précision. Comme sont également calculés chaque mouvement de chaque membre des coureurs, leur respiration, etc. (et je ne parle pas du dopage !). Rien de plus artificiel, de plus outillé, que cet exercice où le corps humain est censé agir seul.

Le domaine des techniques du corps ne peut pas non plus être limité aux actions où le corps est sujet. (Ce qui serait d’ailleurs tautologique, puisque tout action technique implique l’intervention d’un corps humain.) Mauss a eu raison de parler des soins au corps, de l’hygiène, etc., c’est-à-dire des techniques où le corps est objet plutôt que sujet. Cette rubrique est immense, puisqu’elle s’étend à la chirurgie et à la médecine, au vêtement et à la parure (coiffure, rasage/épilage, peintures corporelles, tatouages…), etc. Et il n’y a aucune raison d’en exclure les soins au corps défunt (rites funéraires) ni les procédés pour tourmenter, mutiler ou supplicier les condamnés, dont il n’est guère besoin de rappeler l’importance dans la quasi-totalité des sociétés dites civilisées jusqu’à une époque très récente.

Avec tout cela, la notion de techniques du corps a-t-elle encore un sens ? Il y a là une vraie difficulté, que je ne prétends pas résoudre en un tournemain. Je persiste à penser cependant que l’acception large a tout de même un intérêt, qui est de nous aider à faire tomber quelques barrières artificielles. Soit la notion de vêtement, par exemple. On ne la rapproche pas spontanément de celle d’outil. Or il y a un vaste espace commun aux deux. Le sabot renforcé de plaques de fer qui sert de point d’appui dans certain labour à la bêche est-il un vêtement ou un outil22 ?Et le casque du mineur ? Le tablier du maréchal-ferrant ? Les lunettes du tailleur de pierre… ? Il n’y a pas besoin d’allonger la liste pour se rendre compte que si les vêtements de travail sont bien des vêtements, ce sont aussi des outils - des outil-prothèses, pour reprendre le terme un peu lourd que j’ai employé plus haut. Et c’est sans doute pour cette raison qu’ils ont si peu intéressé les chercheurs. Il n’y a pas de recherche sans spécialisation, et pas de spécialisation sans catégories a priori, qu’il est bien difficile de remettre en question après coup, quand bien même on aurait pris conscience de leurs inconvénients. Le problème est classique, ce qui ne le rend pas plus facile à résoudre !

En l’espèce, il me semble que la notion de techniques du corps peut vraiment nous aider à nous affranchir de certaines idées reçues. Nous venons de voir qu’il n’y a pas de raison de séparer catégoriellement les soins au corps défunt des soins au corps vivant. Cette simple remarque suffit pour remettre en cause le lieu commun archéologique selon lequel toute trace d’un rite funéraire est immédiatement interprétée comme preuve de croyances religieuses. Car d’où vient cette interprétation, sinon d’une longue habitude de voir la religion associée aux funérailles dans nos propres traditions ? En réalité, il n’y a là rien de nécessaire ni d’universel. Il suffit d’observer qu’à partir du moment où le corps vivant est normalement objet de soins et de parure, il n’y a pas de raison pour que le corps défunt en soit privé. La mort ne fait pas disparaître les corps tout à coup. Tant que le corps du défunt est encore là, il faut bien s’en occuper, même si c’est d’une toute autre façon que quand il était encore en vivant. Cela étant, on ne voit pas pourquoi les soins au corps défunt seraient la marque de croyances qu’on ne songe guère à faire intervenir lorsque ces soins s’adressent au corps vivant.

Le jeu, comme les techniques du corps, est aussi un moyen de remettre en cause des catégories artificielles. On a vu que dans le jeu, le rapport entre les fins et les moyens était comme inversé par rapport à l’action technique « ordinaire ». Mais cette inversion ne fait que mettre en relief deux caractéristiques propres à toute action technique : c’est une expérience qui n’est complète que si elle est partagée ; et ce partage est source de plaisir. Il y a un plaisir de la technique, qui passe au premier plan dans le jeu, mais qui accompagne toute les actions techniques ordinaires, même si les manifestations en restent souvent discrètes. On n’en parle pas souvent, bien qu’il s’agisse, me semble-t-il, de quelque chose d’essentiel. On a plutôt tendance à associer le travail à la peine, voire à la souffrance. Je n’ignore pas cette question. Mais quand on y regarde de près, on s’aperçoit que la souffrance vient souvent moins du travail lui-même que du refus par l’entourage ou la hiérarchie d’en reconnaître certaines réalités. Ce refus du partage a des conséquences matérielles qui peuvent être très graves. Il a toujours en plus celle d’empêcher les travailleurs de prendre normalement plaisir à ce qu’ils font - et travailler sans plaisir est quelque chose de proprement invivable.

Le plaisir de la technique est celui de l’expérience partagée : c’est pourquoi la technique est sociale par essence, non par accident. On pourrait même dire que la technique est la matrice de la sociabilité humaine. Il y a une, ou plutôt des formes de sociabilité animale, dont je ne nie pas que leur rôle se prolonge dans l’espèce humaine. Mais il y a chez les humains quelque chose d’autre. Les philosophes des Lumières se sont beaucoup intéressés à ce quelque chose d’autre, sous le nom de sympathie. Je crois qu’il serait bon de renouer avec cette tradition23, en y introduisant le concept d’expérience partagée.

Dans tout ce qui précède, je n’ai fait référence qu’à une théorie, celle de la projection organique. Je n’ai pas parlé d’une théorie plus récente, très à la mode depuis une trentaine d’années : celle de l’intelligence dite machiavélienne, à laquelle on peut rattacher celle de l’intelligence rusée (la μήτις des hellénistes) et celle de la négociation entre acteurs humains et non humains, développée par les tenants de la New Sociology of Science. Ces théories sont trop connues pour qu’il soit besoin de les présenter ici. Elles sont, à mes yeux, aussi erronées que la théorie de la projection. Il est vrai que la ruse et la négociation sont des choses qui existent, contrairement à l’instinct, qui n’est qu’un mot. Et qu’il y ait de l’intelligence dans la ruse et dans la négociation, c’est indéniable. L’objection, c’est que tant qu’elle reste sur ce terrain, l’intelligence n’invente pas. Les moyens qu’elle emploie - la séduction, la menace, la tromperie - ne changent pas. Ils sont à peu près les mêmes dans les sociétés de babouins et dans la nôtre. Il y a une intelligence animale, qui peut atteindre un niveau élevé dans certaines espèces. Mais en règle générale, les modes de vie animaux excluent l’action outillée. Et en dehors de celle-ci on ne voit rien qui puisse conduire à l’apprentissage de la nécessité et de l’invention.

La matière politique (si on me passe l’expression) admet l’indulgence et la perfidie, elle appelle même à en faire le plus grand usage. C’est une école à laquelle on peut apprendre toutes les ruses du monde, d’autant que le tour en est bientôt fait. Mais avec la matière tout court, on ne ruse pas et on ne négocie pas. Sauf à prendre ces deux termes dans une acception qui n’a rien à voir avec le langage courant. Ruser n’est pas inventer. L’invention ne ressemble à une ruse que si on ne regarde pas comment ça marche. C’est exactement ce qui se passe dans le cas de la magie : le magicien produit des effets surprenants, mais pour croire à sa magie, il faut ne pas savoir qu’il a ses trucs. Lorsqu’on se rend compte qu’il en a, et que ce sont des procédés techniques parfaitement au point, le magicien cesse d’être magicien pour devenir illusionniste ou prestidigitateur (ce qui ne gâte rien du spectacle, au contraire). Avec la matière, dans l’action outillée, ni la ruse ni la négociation ne sont d’aucun usage. Il faut en passer par l’apprentissage de la nécessité. Apprentissage qui est aussi celui de la conscience, de la pensée rationnelle, et même de « toute espèce de vertu ».

Le 2 octobre 2006 François Sigaut

 

1 « Naturale autem est homini ut sit animal sociale, et politicum, in multitudine vivens, magis etiam quam omnia animalia, quod quidem naturalis necessitas declarat. Aliis enim animalibus natura praeparavit cibum, tegumenta pilosum, defensionem, ut dentes, cornua, ungues, vel saltem velocitatem ad fugam. Homo autem institutus est nullo horum sibi a natura praeparato, sed loco omnium data est ei ratio, per quam sibi haec omnia officio manuum posset praeparare, ad quae omnia praeparanda unus homo non sufficit. Nam unus homo per se sufficienter vitam transigere non posset. Est igitur homini naturale, quod in societate multorum vivat. » Passage extrait du De Regimine Principum, dont l’édition la plus récente est On the Government of Rulers, De Regimine Principum, Ptolemy of Lucca, with portions attributed to Thomas Aquinas. Transl. by James M. Blythe, Philadelphie, Univ. of Pennsylvania Press, 1997.

2 « Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à ce que l’histoire et la préhistoire nous présentent comme la caractéristique constante de l’homme et de l’intelligence, nous ne dirions peut-être pas Homo sapiens mais Homo faber (Ed. de 1962, p. 140.)

3 « Ainsi donc, en suivant les voies de la technologie, rien ne permet de distinguer un Homo qui serait faber d’un Homo qui serait sapiens. […] La dissociation entre faber et sapiens est une dissociation fallacieuse et d’un très faible secours pour la compréhension des origines de l’homme. » A. Leroi-Gourhan, « Homo faber, Homo sapiens », Revue de Synthèse, 1952, xxx : 92-93.

4 « De la technologie à l’évolutionnisme, l’œuvre de Pitt Rivers », Gradhiva, 1990, 8: 20-37.

5 Cet inventaire anticipait sur les travaux de L. Cuénot, Les moyens de défense dans la série animale, Gauthier-Villars & Masson, s.d. [1892], et surtout d’A. Tétry, Les outils chez les êtres vivants, Gallimard 1948.

6 Vol. I p. 132 ; voir aussi vol. II p. 40.

7 Les origines humaines et l’évolution de l’intelligence, Boivin, 1928, p. 262.

8 Julie Foucart, « Etude comparée des habiletés opératoires et motrices de l’homme et du chimpanzé pour une utilisation d’outils trans-primatique : le cassage des noix », thèse dirigée par Blandine Bril et soutenue à l’EHESS le 20 juin 2006.

9 Sur les demi-écopes égyptiennes : J. Vandier, Manuel d’archéologie égyptienne, vol. VI (1978), pp. 176-179 et pl. XI et XVII. Pour l’Ethiopie : Ato Hailu Mengesha et Bob Lee, “Domestic Implements of Ethiopia. A brief survey of hand tools, household and farming implements of Harar Province”, Experimental Station Bulletin n° 5, Imperial College of Agriculture and Mechanical Arts, nov. 1960. Sur les saugeoires : P. Lemonnier, Les salines de l’Ouest (Ed. de la MSH, 1980), pp. 107 et 117.

10 Francesca Bray, Agriculture, vol. 6, Part II dans la série Science and Civilization in China de Joseph Needham (Cambridge University Press 1984, pp. 352, 360). Je suis redevable à Yoshio Abé (publ. en cours) de plusieurs des informations dont je fais état ici.

11 Sur la région des Grands Lacs, il existe une synthèse ancienne mais excellente : A.E. Jenkins, « The Wild Rice Gatherers of the Upper Lakes, A Study in American Primitive Economics », Nineteenth Annual report of the Bureau of American Ethnology to the Secretary of the Smithsonian Institution, 1897-1898, Part II, pp. 1013-1437. Sur l’Ouest et la Californie, les informations sont beaucoup plus dispersées et il n’y aurait pas grand sens à en proposer une bibliographie ici. Sur G. fluitans (appelée aussi fétuque flottante, grémil…), cf. H. Rasmussen, « Das Sammeln von Mannagras … in Dänemark », Folk (Dansk Etnografisk Tidjsskrift), 1974-1975, 16-17 : 253-262.

12 Hanunóo Agriculture, Rome, FAO, 1957 (rééd. Northford (Conn.) Elliot’s Books, 1975).

13 Sur la série d’outils à récolter qui vont de l’ongle à l’ani-ani, l’étude fondamentale est : H.T. Fischer, « Reispflücken und Reisschneiden in Indonesien », Internationales Archiv für Ethnographie, 1933, 34 : 83-105, à compléter par : « Das indonesische Reismesser ausserhalb Indonesiens », Paideuma, 1939, 1, 3 : 147-152. Il est significatif qu’aucune synthèse d’ampleur comparable n’ait été entreprise depuis.

14 Les premiers travaux sur cette question ont été ceux de Hans Sigg sur les babouins, cités par Hans Kummer, Vies de singes (Odile Jacob 1992), pp. 164-174 et 244. Sigg et Kummer parlent de « compétence écologique », les babouins n’utilisant pas d’outils. Mais des observations semblables ont été faites depuis sur les anthropoïdes.

15 Deux collègues interrogés à ce sujet, Frédéric Joulian et Dominique Lestel, m’ont fait la même réponse : la jointée est inconnue chez les grands singes.

16 Cette nouvelle constitue les chapitres xiii et xiv des Chroniques de la Canongate, que je cite d’après la traduction Defauconpret (1830). Le titre original est The Two Drovers.

17 Je dois à Alexander Fenton la copie d’une Note historique tirée de l’édition critique la plus récente des Chronicles of the Canongate (par Claire Lamont, Edinburgh University Press, 2001, pp. 427-431), où l’éditeur entre dans les détails les plus minutieux sur ce sujet. L’histoire n’est pas inventée, W. Scott la tient d’un magistrat ami de son père. Mais il n’a pas été possible d’en retrouver la source exacte dans les archives.

18 L’expression a été proposée par Raymonde Carroll, Evidences invisibles, Seuil 1987.

19 Peut-être aussi, symétriquement, vers la spiritualité, dans les cas de renoncement mystique ?

20 Sur le jeu, la grande synthèse dirigée par Roger Caillois, Jeux et sports (Gallimard 1967, coll. La Pléïade) reste probablement insurpassée.

21 « Folie, réel et technologie », Techniques & culture, 1990, 15 : 167-179 ; « Le triangle du sens », ibid., 1992, 19 : 201-209.

22 P. Coutin, « Le labour à la bêche en Limagne », JATBA (Journ. d’Agric. Trad. et de Botan. Appl.), 1977, xxiv, 2-3 : 87-97.

23 On en fait habituellement remonter l’origine à la Théorie des sentiments moraux d’Adam Smith (1759).